Chroniques

par laurent bergnach

Fantasia (extraits)
musiques variées – images des studios Disney

Salle Pleyel, Paris
- 1er mars 2014
Fantasia (extraits), ciné-concert Disney
© studios disney

Présenté en première mondiale au Broadway Theatre (New York) le 13 novembre 1940, Fantasia est le troisième long-métrage d’animation des studios Disney, après Snow White and the Seven Dwarfs (Blanche Neige et les sept nains, 1937) et Pinocchio (1940). Conçu dans la lignée des Silly Symphonies (1929-1939) – série de courts-métrages qu’inaugurait La danse macabre –, ce film musical, divertissant et pédagogique s’amorce, dès 1937, autour de L’apprenti sorcier qui met en scène le personnage de Mickey et la partition de Paul Dukas – déjà utilisée pour une adaptation abstraite du poème de Goethe par Oskar Fischinger (1931), réalisateur d’animation qui collaborerait à certains passages de Pinocchio et Fantasia.

Le projet avance peu à peu : on détermine sept séquences dont l’unité est renforcée par des intermèdes, on débat des opus que le Philadelphia Orchestra enregistre en avril-mai 1939, on approuve le recours au système Fantasound (un des premiers procédés stéréophoniques) et l’on envisage l’usage du relief ou même du parfum. Fantasia ne doit pas être un film comme un autre mais une œuvre d’art destinée à évoluer au fil de ses présentations dans les salles de concert. Hélas pour Walt Disney, de nombreuses déconvenues l’attendent au final : version écourtée sur demande du distributeur, arrêt des présentations itinérantes, critiques acerbes, résultat financier catastrophique (l’Europe en guerre ne remplit pas les salles comme de coutume), etc. Au fil des ans, la production finit tout de même par séduire le public, et c’est presque sans risque que l’Orchestre national de Lyon propose aujourd’hui trois rendez-vous parisiens.

Comme celui de Lille il y a quelques jours, l’ensemble n’accompagne pas Fantasia en entier mais quelques séquences seulement, délaissant Stravinsky, Ponchielli, Moussorski/Schubert (l’Ave Maria devant atténuer le cauchemar du Mont Chauve) pour les musiques de Tchaïkovski (Casse-noisette), Beethoven (Symphonie « pastorale ») et Dukas, dont certaines réorchestrées par Leopold Stokowski. D’autres scènes plus récentes s’y mêlent, puisque Roy Edward Disney, répondant au vœu de son oncle Walt, fit naître Fantasia 2000 (1999), en collaboration avec James Levine et le Chicago Symphony Orchestra. Là aussi arrangés, on y retrouve Beethoven (Symphonie n°5), Respighi (Les pins de Rome), Gershwin (Rhapsodie in Blue), Elgar (Pomp and Circumstance) et Stravinsky (L’oiseau de feu). Écarté du film de 1940, Debussy (Clair de lune) est ici joué.

Les deux Fantasia puisent leurs racines dans les arts et les mythologies du Vieux Continent, dont se détache le schéma « harmonie-chaos-harmonie », propre aux contes de fées. Un dieu grec se met en colère, un démon ravage la forêt, mais la paix et la renaissance l’emportent au final. Ces histoires sont donc profondément consolatrices, comme celle du baleineau séparé un temps de ses parents ou celle de Mickey puni avec modération au regard de la catastrophe engendrée – si l’on se réfère au gamin gravé par Goya, frappé avec colère pour une cruche cassée (Si quebró el cántaro) ! Souvent naïves, teintées d’orientalisme ou de couleurs nabi, les scènes anciennes alternent avec des clins d’œil plus rythmés au caricaturiste Al Hirschfeld ou aux « manga eiga » (film de manga).

Dirigé par l’efficace Frank Strobel, l’Orchestre national de Lyon va-t-il réussir le pari de réconcilier les plus jeunes avec la musique classique, selon le souhait de Disney ? On le souhaite, car il opère avec beaucoup de nuances : souple et fluide dans une Pastorale peuplée de centaures et d’adeptes de Bacchus, scintillant et tendre pour répondre aux changements de saison magiques qui structurent Casse-noisette, ample et majestueux lorsqu’il faut évoquer un sujet biblique tel l’Arche de Noé (avec Donald et Daisy en guest stars), ou encore vif et lumineux pour le magnifique ballet de cétacés, d’inspiration écologique, voire chamanique. Bravo également à Louis Schwizgebel, pianiste sensible aux interactions artistiques [lire notre critique du CD], dont l’énergie est mise à profit dans Rhapsodie in Blue. Reste maintenant aux enfants à écouter avec leurs propres images…

LB