Chroniques

par bertrand bolognesi

Fama
théâtre de l’écoute de Beat Furrer

Agora / Ateliers Berthier, Paris
- 31 mai 2006
Fama, théâtre de l’écoute de Beat Furrer
© éric mahoudeau

En ouverture de la nouvelle édition du festival Agora de l'Ircam, les Ateliers Berthier et l'Opéra national de Paris accueillaient le quatrième ouvrage scénique de Beat Furrer. Créé à l'automne dernier dans le cadre des Donaueschinger Musiktage, Fama est un théâtre de l'écoute projetant Mademoiselle Else, la nouvelle d'Arthur Schnitzler, dans une boîte à acoustique inspirée d'une situation architecturale particulière, elle-même imaginée à partir des Métamorphoses d'Ovide, une référence que l'on retrouve régulièrement dans le parcours de Furrer. Cette croisée de deux textes – en fait, d'un peu plus, puisque Fama évoque également une éruption volcanique décrite par Lucrèce (Scène 1) et une phrase votive de Carlo Emilio Gadda – prolonge une caractéristique partagée par les autres opéras du compositeur suisse ; ainsi Die Blinden mêlait-il Maeterlinck (Les aveugles) à Platon, Begehren la prose de Günter Eich et le mythe d'Orphée, tandis qu'Invocation sertissait dans un sacrifice rituel Moderato cantabile de Duras.

Marquée par la démarche esthétique de Morton Feldman, l'écriture de Beat Furrer accuse un cousinage certain – éventuellement dans la contradiction – avec celle de Lachenmann et celle de Pesson. Pourtant, tout en usant de procédés similaires, elle renoue avec une plus évidente carnation sonore, comme en témoigne le brio de certains passages, tant impensables dans les périphéries toujours discrètement raffinées du second que dans la spécifiquement bruiteuse aspérité du premier. Ici, c'est par un frénétique introit orchestral que tout commence, envahissant immédiatement le cœur de la boîte qui enferme le public – entre le monde extérieur et celui de l'intérieur de la salle, soit celui du théâtre et surtout des spectateurs, c'est depuis une sorte de gaine circulaire que les instrumentistes s'expriment, à travers un système de parois mobiles, certes utiles à la dramatisation mais principalement essentielles à la conception sonore de la pièce (la conception du décor est entièrement régie par les exigences acoustiques) – et agressant l'héroïne Else, contrainte de s'exhiber devant le créancier de son père. Comme dans une analyse, insulaire s'y trouve le sujet, découvrant peu à peu par autant de portes tournantes et infinies d'innombrables entrelacs psychiques. De fait, ce possible regard sur soi-même, peut-être réminiscence du Narcissus créé à Graz il y a douze ans, n'est-il pas plus tard vidimé par Else, séduite par ses contours qu'elle admire dans le miroir – on l'appelle aussi psyché… – d'une chambre d'hôtel, contours qui consolent son désarroi dans un troublant dialogue d'avant-scène avec la flûte contrebasse (Scène 6) ?

À la tête de l'ensemble Klangforum Wien dont il est le fondateur et des Neue Vocalsolisten Stuttgart, Beat Furrer (qui suivit l'enseignement de l'excellent Oscar Suitner) révèle sa propre partition dans la mise en scène par laquelle Christoph Marthaler tente de nous plonger dans cet état intermédiaire de la jeune femme sous l'effet vertigineux d'un narcotique. On regrettera cependant une présence scénique aussi peu inventive que diluée – Isabelle Menke – qui laisse couvrir sa propre parole. Si le parler est tellement présent dans l'œuvre volontiers vocale de Furrer, n'est-ce qu'à titre de couleur, sans qu'importe le sens de ce qui est dit ? Loin de vouloir réduire le propos à la seule nouvelle de Schnitzler, certains repères (et pas exclusivement narratifs) ont pu néanmoins paraître vitaux à la cohérence de l'ensemble.

BB