Chroniques

par monique parmentier

fêter vingt ans entre Naples et Madrid
le voyage d’Europa Galante

Théâtre de la Ville, Paris
- 8 janvier 2011
Fabio Biondi fête les vingt ans d'Europa Galante au Théâtre de la Ville (Paris)
© dr

L’Europa Galante a fêté ses vingt ans en 2010 et souhaita célébrer cet évènement avec le public français à l’occasion d’un vingtième concert au Théâtre de la Ville à Paris. Fabio Biondi, son chef nous, proposait un programme chambriste voyageant en musique entre Naples et Madrid, un voyage qui faisait emprunter les chemins parcourus par de nombreux compositeurs italiens tout au long du XVIIIe Siècle. À cette époque, Madrid devint un refuge pour nombre d’entre eux, offrant ainsi à la musique espagnole un sang neuf et un style enrichi.

Un décor a été bâti sur scène pour donner au lieu une belle intimité et rompre les lignes par des volumes et des lumières plus douces. Dans une enfilade de salons fin XVIIIe faisant penser au palais madrilène, meublé de tableaux, un superbe clavecin à double clavier accueille les musiciens.

Chef de file du baroque en Italie, le violoniste Fabio Biondi, musicien solaire et exubérant, fait redécouvrir des musiciens oubliés, tels Francesco Corselli et Nicola Conforto, à côté d’autres plus connus comme Luigi Boccherini, Domenico Scarlatti ou Adolph Hasse. Lui et ses trois musiciens en différentes formations, quatuor, trio ou duo, démontrent que la musique classique espagnole ne se limite pas seulement à celle franco-flamande du Siècle d’Or qui ornait la chapelle impériale de Charles Quint.

Plus connu pour avoir été un virtuose du violoncelle, c’est donc avec Luigi Boccherini, compagnon de longue date pour Fabio Biondi (il lui a consacré de nombreux enregistrements), que le concert s’ouvre. Il ne pouvait y avoir meilleur guide pour un tel voyage, car cet italien a fini sa vie en Espagne où il créa plus d’une centaine d’œuvres pour Don Luis de Borbon, frère du roi Charles III. Mais, curieusement, ce n’est pas une sonate madrilène mais française qui nous est offerte ce soir. Quant aux autres compositeurs retenus, ils se sont un jour croisés, partageant certainement des moments d’amitié musicale mais de confrontation, aussi, pour obtenir des commandes.

Si au fond toutes les sonates ici proposées sont interprétées avec talent, jamais leur caractère hispanique revendiqué par menu ne semble réellement évident, y compris, d’ailleurs – mais là plutôt à cause de l’interprète – dans les extraits des sonates de Domenico Scarlatti. Car si Paola Poncet au clavecin montre une certaine aisance et un sens de l’articulation exquis, son jeu trop subtil manque de fougue et de cette énergie violente qui caractérise le clavecin de Scarlatti. Ainsi sa musique semble-t-elle se confondre avec celle des autres compositeurs, souvent proche d’autres courants d’influences qui parcourent l’Europe et trouvent leurs sources en Italie. Leurs musiques gracieuses et élégantes, parfois mélancoliques, semblent manquer de feu.

C’est surtout dans la Sonate pour violon et basse continue en la majeur « Le jardin d’Aranjuez au printemps » et dans les bis avec Francesco Geminiani et Corelli (tous deux baroques italiens) que Fabio Biondi peut laisser parler sa personnalité fougueuse et brillante. Accompagné avec brio dans la sonate de José Herrando par Riccardo Coelati Rama au violone, il laisse savourer la fraîcheur limpide de ces jardins qu’écrase l’ardente lumière des étés ibériques.

Le choix d’une guitare flamenco pourra surprendre, alors que le quatuor utilise des instruments baroques. Certes, l’instrument doit tenter d’apporter un caractère plus local aux différentes pièces interprétées durant ce concert, mais en raison de l’acoustique trop sèche, son timbre se perd trop souvent dans les notes du clavecin. En revanche, dans le Concerto pour mandoline de Nicola Conforto, Giangiacomo Pinardi livre un instant de grâce avec son médium plus italien qu’espagnol, en tout cas si présent dans la musique populaire napolitaine. Montrant ainsi combien les courants d’influences culturelles se jouaient des frontières géographiques qui, à l’époque, étaient bien différentes d’aujourd’hui. Longtemps Naples ne fut-elle pas sous domination espagnole ? Aussi tous ces musiciens qui firent le voyage vers l’Espagne ne firent-ils que tenter de renouer avec des racines partagées entre l’Italie et l’Empire des Habsbourg des origines.

Par la qualité de son interprétation, Europa Galante donnait un concert agréable où la virtuosité des instrumentistes s’est parfois nimbée de cette sombre mélancolie qui torturait les bourbons d’Espagne. Ils nous ont permis de passer un bel après-midi d’hiver en leur compagnie.

MP