Chroniques

par laurent bergnach

Ensemble Sejong
Britten, Diamond, Penderecki et Schubert-Mahler

Salle Cortot, Paris
- 3 novembre 2005
l'altiste Richard Yongjae O'Neill se produit en solo dans l'ensemble Sejong
© dr

Après deux cents concerts donnés à travers le monde, Sejong pose, pour la première fois, ses pupitres sur une scène parisienne. Cet ensemble à cordes, fondé à New York en 1995, a pour particularité de réunir des jeunes musiciens d'envergure, originaires de huit pays – dont la Chine, la Corée et Singapour. Chacun a son propre parcours de soliste ou de chambriste, sanctionné par des concours prestigieux. Hormis le soutien d’Hyo Kang, violoniste devenu professeur à la Juilliard School et directeur artistique de l'ensemble, Sejong possède donc la rigueur et la maturité musicale qui lui permettent de se produire sans chef. Afin d’honorer de telles compétences, la Fondation Samsung n'hésite pas à prêter des instruments exceptionnels, comme le violoncelle de Matteo Goffriller (Venise, 1715) ou le Stradivarius (Crémone, 1708), entendus ce soir.

Huit violonistes, trois altistes, trois violoncellistes et deux contrebassistes convient à un programme de musique du XXe siècle, qui débute avec David Diamond. On connaît peu cet Américain né en 1915, ancien élève de Nadia Boulanger, en exil à Rome sous le maccarthysme, enseignant à son retour à New York dans les années soixante, qui nous a quittés le 13 juin dernier. En 1944, Rounds est une réponse à la demande de Dimitri Mitropoulos qui, déprimé par la mélancolie des pièces dodécaphoniques qu'il venait de diriger, souhaitait servir « une œuvre joyeuse ». Elle s'inspire de la tradition ancienne du canon (round), particulièrement sensible dans la troisième partie où les instruments graves sont mis en avant, à travers un Allegro vigoroso qui évoque Bartók et le folklore irlandais. Le début de l'œuvre est typiquement anglo-saxon, avec de brefs emprunts à la musique répétitive et ce romantisme cinématographique, au lyrisme printanier, présent dans l'Adagio central. La précision des attaques doit beaucoup à l'œil attentif de Frank Huang, premier violon solo.

Benjamin Britten avait une grande admiration pour la musique de l'élisabéthain Dowland, qui se concrétisa en 1950 par Lachrymae Op.48a, reflection on a song of John Dowland, pour alto et piano. Vers la fin de sa vie, le compositeur en réalisa un arrangement pour ensemble à cordes (d’où le a du numéro d’opus). La dizaine de variations de l'œuvre font goûter tour à tour la légèreté incroyable, presque vaporeuse, de l'archer sur un Gasparo da Salò (Brescia, 1590), une certaine âpreté veloutée, puis la virtuosité de Richard Yongjae O'Neill [photo] qui mène pour finir à une nostalgie exprimée en toute simplicité.

Avec Sinfonietta, Krzysztof Penderecki échappe à la tonalité sombre et religieuse qui caractérise généralement son travail, tout en reprenant (trait commun à ses œuvres courtes) des thèmes aux créations plus importantes – Interluded'Ubu Rex et Symphonie n°4. L'ouverture à ces deux mouvements joués attacca est caractéristique : trois courts passages d'accords stridents et similaires sont suivis d'un solo expressif, tenu par des timbres différents. La suite met en présente de jeux d'échos, d'imitations et d'entrées en miroir, servis par des tutti d'une grande rigueur qui soulèvent l'enthousiasme.

Gustav Mahlera considéré le parcours de Franz Schubert avec un mélange d'admiration et d'esprit critique. La jeune fille et la mort – autrement dit le Quatuor à cordes en ré mineur D.810 de 1824 – compte parmi les œuvres épargnées par le cadet, puisqu'il réfléchit à une adaptation pour ensemble à cordes. Grâce aux notes transmises par Anna Mahler à Donald Mitchell, spécialiste du compositeur, cette version sort de l'ombre le 6 mai 1984 pour une première exécution intégrale, réalisée par l'American Symphony Orchestra. Auparavant, seul l'Andante avait été entendu, le 19 novembre 1894, à Hambourg, à la réception duquel le Viennois n'avait pas persévéré dans l'achèvement du projet.

Cette partition finit de révéler les qualités de l'ensemble Sejong : puissance à la nervosité maîtrisée, délicatesse dans les decrescendos, nuances d’un lyrisme élégant. Quelques mesures « bissées » viennent remercier le public pour son accueil chaleureux, mettant un terme à cette belle soirée, d'une tenue exemplaire.

LB