Chroniques

par bertrand bolognesi

Enrique Granados, Edward Elgar et Friedrich Gernsheim
Alain Altinoglu dirige l‘Orchestre National de Montpellier

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon / Corum
- 20 juillet 2011
© marc ginot

C’est à l’orchestre maison qu’il revient, ce soir, d’approcher les raretés que depuis plusieurs décennies René Kœring ne manque pas de faire entendre in loco. Si le programme s’achèvera par la couleur espagnole d’un compositeur catalan, après avoir visité la Rome rêvée d’un Allemand, c’est l’évocation des montagnes bavaroises par un Anglais qui l’ouvre, à travers trois extraits des Scenes from the Bavarian Highlands Op.27 composées en 1895 par Edward Elgar sur des poèmes d’Alice, son épouse, après plusieurs séjours aux dits lieux durant les trois années précédentes. Des six épisodes pour chœur et orchestre, l’Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon et le Chœur de la Radio Lettone donnent les trois derniers dont on saisit d’emblée qu’ils forment, tout en étant parfaitement aboutis, des jalons vers le grand oratorio The Dream of Gerontius qui serait créé avec l’avènement du siècle. Aspiration se fait alors peinture, dans la veine des panoramistes alpins et l’enthousiasme des nombreux marcheurs britanniques à explorer de nombreux massifs, au XIXe siècle (pensons à Whymper, for instance), à la recherche de grands paysages à sensation. Alain Altinoglu en signe une interprétation à la grandiloquence sagement contenue. On the Alm raconte, comme une ballade, ici entravée, toutefois, par la diction anglaise approximative de la masse chorale, par ailleurs vaillante. Saluons le violoncelle solo du final, plutôt raffiné. La conclusion, The Marksmen (VI), revêt un caractère enjoué et festif, bien servi par la souplesse des cordes et la virevolte des bois. Le final reste tonique et ferme, quoique d’une écriture assez lourde au bord de laquelle le chef se tient prudent.

Autre pièce indiquée « création » sur la brochure de salle, la scène pour mezzo-soprano, chœur et orchestre Agrippina Op.45 de Friedrich Gernsheim illustre un poème du Bavarois Hermann Lingg, grand rêveur épique qui, ici, s’est tourné vers Rome. Le résultat est à situer entre la cantate romaine et l’opéra baroque, pour en situer le genre, tout en s’affirmant romantique et largement wagnérien. De fait, le maître de Bayreuth s’éteindra deux ans après la conception d’Agrippina (1881) et son influence lui survivra de longues décennies. Le premier air prend ainsi des allures de fliegende Holländer, de même que certaines sinuosités chromatiques dans la ligne vocale, plus loin, rappellent aisément l’époque, sans parler d’un recours assez typique à la harpe. Moins explicable s’avère l’inflexion toute mahlérienne des cordes, au début, car en 1881, comment Gernsheim, son ainé de vingt-et-un ans, aurait-il pu entendre quoi que ce soit d’un jeune homme qui n’avait produit – et sans succès ! – que son klagende Lied ? Signe du temps, dirons-nous. Si le chœur balte s’avère plus confortable en langue allemande qu’en anglais, la ligne vocale instable de Nora Gubisch peine à convaincre. Du coup, la surenchère dramatique semble l’abusive panacée, d’un « Römer… » grimaçant à un « Erwache ! » inutile, en passant par la disgrâce d’un « O ich Schwache ! » crié.

Enfin, l’Espagne, et celle de Goya dont la peinture féconda Enrique Granados, par les pièces pour piano bien connues, mais encore par un opéra en trois tableaux, Goyescas, puisant largement à la source des premières. À celui qui attendait la création annoncée d’une orchestration la plus proche possible des vœux du compositeur lui-même qui s’est dit insatisfait de son travail, grande est la déception à découvrir celle, simpliste, finalement choisie. Ce concert qui commençait gentiment s’achève moins bien. Le chœur se fragilise dans une diction insaisissable, l’orchestre patine et les voix sont inégales. Nora Gubisch est Pepa, démonstrative autant qu’approximative dans ses attaques. Simón Orfila livre un baryton corsé au rôle de Paquiro, accusant cependant un vibrato plus que généreux. La Rosario d’Adina Aaron (soprano) bénéficie d’un aigu facile et d’un souffle bien géré qui autorise des tenues remarquables. Pourtant, la tendance à donner de la voix plutôt qu’à nuance entrave la musicalité. Fort heureusement, deux voix surgissent : le mezzo Yete Queiroz dans une fort brève incarnation qui laisse néanmoins goûter une couleur chaleureuse, mais surtout Ricardo Bernal, excellent ténor au timbre lumineux et à l’émission directe, toujours fiable. Alain Altinoglu dirige une lecture relativement terne d’un opus qui demande plus de passion.

BB