Chroniques

par bertrand bolognesi

Emmanuel Krivine et l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg
Richard Strauss et Alexander von Zemlinsky

Arsenal, Metz
- 19 février 2005
le compositeur bavarrois Richard Strauss
© dr

Chef invité privilégié de l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg depuis trois saisons, Emmanuel Krivine dirige ce soir un programme romantique plutôt copieux, à l'Arsenal où la formation est invitée par l'Orchestre National de Lorraine. C'est avec le poème symphonique Don Juan Op.20 composé en 1888 par Richard Strauss avec tout l'excès, l'ambition et la maladresse de la jeunesse, que cette soirée s'ouvre. Le chef construit judicieusement la sonorité de son instrument à partir des cordes graves, au prix d'une relative lourdeur dans l'appui, parfois, d'autant accentuée par la mise en exergue systématique des timbales. Peut-être préfèrera-ton des échanges solistes un rien plus délicats, d'autant que quelques pages de l'œuvre font inévitablement penser à cette sorte d'insularité chambriste que l'on retrouvera plus tard dans l'orchestration du Bavarois ; mais le grand souffle enthousiaste de cette lecture, mis en relief par de francs contrastes et une dynamique roborative, n'en pâlit pas. Si l’exécution n'est pas systématiquement flattée par des cordes souvent approximatives, elle révèle par ailleurs un appréciable pupitre de cuivres.

C'est cinquante-quatre ans plus tard que le même Strauss conçoit son Concerto pour cor et orchestre en mi bémol majeur Op.132 n°2, en pleine guerre, continuant de tourner son inventivité vers les modèles du passé, comme il le faisait depuis quelques années déjà. Le génial chaos de Salome, d'Elektra ou de Die Frau ohne Schatten est désormais bien loin : il lui préfère l'élégante frivolité mozartienne dont il use pour Ariadne auf Naxos, Arabella et, surtout, pour Capriccio, son dernier opéra, contemporain de ce concerto (1942) – alors qu'à peine trois ans plus tard le jeune Boulez donnerait ses Notations. Miklós Nagy s'évertue à servir cette page qu'il réussit somptueusement, par une fort belle égalité de timbre. Avec une formation plus réduite, Emmanuel Krivine délivre des raffinements notables, parfumés de cette étrange nostalgie des tous derniers opus straussiens.

Après l'entracte, le public messin aborde l'unique poème symphonique d’Alexander von Zemlinsky, Die Seejungfrau (1903), d'après La petite sirène d'Andersen. L'œuvre, comprend trois épisodes qui furent créés sans grand succès à Vienne, un an et demi après leur achèvement. Krivine favorise une sonorité nettement plus délicate dont il construit peu à peu le lyrisme, profitant plus du programme de cette fantaisie que du raffinement de ses mixtures. À l'évidence – sans qu'aucun semble négligeant lors de la première partie – chaque instrumentiste redouble d’attention. Les soli sont minutieusement réalisés, et l'expressivité au rendez-vous.

On se souvient de l'interprétation discrètement Jugendstill d’Armin Jordan à Strasbourg il y a deux ans [lire notre chronique du 21 février 2003], usant d'une moire sonore savamment distillée qui rendait un hommage énigmatique au conte, dans un climat parfois wagnérien, celui de Tristan ou de Parsifal ; à Sarrebruck quelques temps auparavant, Oswald Sallaberger situait sa version dans l'héritage mahlérien qu'il colorait généreusement des sensuels accents de Schreker et Korngold. Ce soir, Krivine pense à Rheingold tout en chantant Brahms, affirmant ainsi un choix résolument romantique. La narration et le drame sont mis en avant, sculptant volontiers dans la masse symphonique quelques bijoux manquant toutefois de couleurs, dans une interprétation plus chorégraphique que picturale : une affaire de personnalité plus que de goût, paraissant placer plus Zemlinsky dans ce qu'il entendit pendant les trente premières années de sa vie que dans ce qu'il ferait entendre dans les quarante autres.

BB