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Chroniques
Eine florentinishe Tragödie | Une tragédie florentine
opéra d’Alexander von Zemlinsky
Une nouvelle fois, René Kœring invite le public montpelliérain à sortir des sentiers battus, soit à découvrir deux brefs ouvrages rares qu'avec à propos il réunit en une soirée Jalousie. Créé à Munich en 1909, Il segreto di Susanna d'Ermanno Wolf-Ferrari aborde ce thème avec humour, tandis que la Florentinische Tragödie d'Alexander von Zemlinsky, créée en 1917 à Stuttgart, réalise les troublantes retrouvailles d'un couple dans le sang d'un amant. Si cet opéra fera cette saison-ci l'objet de trois productions – à Nancy [lire notre chronique du 20 septembre 2006], à Montpellier et à Lyon (en avril) –, le premier ne connaît pas ce soudain engouement.
De Wolf-Ferrari, on se souvient avec plaisir de la truculente réalisation de La vedova scaltra, ici même, il y a quelques années [lire notre chronique du 24 avril 2004], mais il est à craindre que la présente mise en scène du Secret de Susanne s'évapore bien vite. Certes, l'œuvre fait tôt le tour de son sujet, au point d'accuser une certaine faiblesse rythmique de l'action ; mais en hypertrophier la superficialité n'arrange pas les choses. Ici, le rival du comte Gil n'est pas le tabac mais le haschich, la belle Susanna se pâmant dans ses voluptueuses volutes dont les suspensions éveillent le prompt soupçon du jeune mari. La vérité découverte, le couple s'extasiera sur fond de plant géant de cannabis, tandis que des apparitions hantent leurs délices enfin partagées (l'inspecteur Colombo, Sherlock Holmes e tutti quanti).
Le baryton slovaqueAles Jenis campe un Gil, sorte de grand gamin capricieux qui désire pouvoir disposer de sa femme comme de sa mini Ferrari téléguidée. Le timbre est avantageusement ancré et la conduite du chant souple et irréprochable, dans une couleur toutefois assez monolithique. On comprendra d'autant plus sa jalousie en admirant les grâces d'une Michelle Canniccioni tout simplement sexy, tant vocalement que scéniquement.
De fait, il sera constamment question de sexe et de ses stimulants dans ce spectacle en deux épisodes. Si les retrouvailles de Gil et Susanna s'opère dans la fumée du chichon, Simone et Bianca se rejoignent dans les vapeurs sulfureuses d'un rituel sadomasochiste. À L'origine du monde dissimulé dans le décor du Segreto, comme il le fut un temps dans le salon de Lacan, répondent de constantes métaphores : l'élévation de la fumée décrite par le livret comme un substitut conjugal, mais aussi la maîtrise des instruments de la vitesse dont l'évidence nous laissera taire l'analyse, ces deux couples à prothèses ayant en commun le rouge érotique et passionnel d'une Lamborghini Countach, jouet de Gil et véhicule terrifiant des dignités maritales de Simone.
Peut-être reprochera-t-on à la mise en scène de La tragédie florentine son côté réducteur. Toujours est-il que son option fonctionne parfaitement avec le texte auquel elle impose une situation qu'il supporte. Le riche marchand d'étoffes fait une entrée qu'on pourrait dire langoureuse dans les ébats de Bianca et Guido, et mène une mascarade d'affrontement avec le jeune homme qui n'est que l'instrument nécessaire à l'éveil de sa vigueur, rencontré dans le meurtre, ainsi qu'en témoignera l'apparition finale de corps masculins pendus à des crochets comme un quartier de mouton.
Si, par la difficulté d'abord de son aigu, systématiquement trop bas, et une présence falote, le Simone de Pavlo Hunka ne convainc guère, Robert Künzli s'avère fort efficace en Guido Bardi, usant d'un timbre clair et attachant. Mais c'est surtout Kate Aldrich qui retient l'oreille par une couleur vocale idéal au personnage compris de cette manière-là. Elle libère un grave noir comme l'enfer, ce qui n'exclut pas les nuances exquisément enjôleuses du dernier duo avec son jouet.
En fosse, Bernhard Kontarsky propose une lecture viable de l'œuvre de Zemlinsky, passant cependant un peu à côté des riches textures de l’orchestration. En revanche, outre que le tactus maintenu dans Wolf-Ferrari se révèle trop rigide, son abord du Segreto di Suzanna manque cruellement de relief, noyant dans une pâte indifférenciée tout espoir de tonicité ou d'élégance. Cela dit, le chef prend soin de ne jamais couvrir les voix, ce qui parfois peut induire certaines contraintes.
BB