Chroniques

par gilles charlassier

Doulce Mémoire anglo-français et Vox Luminis luthérien

Festival de Saintes / Abbaye aux dames
- 14 et 15 juillet 2017
Vox Luminis au Festival de Saintes, le 14 juillet 2017
© michel garnier

Bach constitue une des figures tutélaires du Festival de Saintes. Ce n'est cependant pas le célèbre Johann Sebastian que mettent à l'honneur Lionel Meunier et son ensemble Vox Luminis [photo], autre fidélité de la manifestation saintongeaise. Le programme présenté samedi soir remonte l'arbre généalogique de la dynastie de musiciens dont le Cantor de Leipzig demeure le plus éminent représentant, proposant ainsi un panorama sur un siècle de motet germanique.

L'austérité prétendue du répertoire, indexée sans doute par une basse continue réduite au violone et à l'orgue – respectivement Benoit Vanden Bemden et Bart Jacobs, d'une sobriété qui soutient l'intensité spirituelle du chant –, se trouve démentie par une lecture investie et vivante de pages où passe le souffle d'une piété incarnée. Mêlant la ferveur à l'humilité du croyant selon l'essence même du luthéranisme, le spicilège retenu fait rayonner la maîtrise précise et aérée de la polyphonie dont témoignent les neufs solistes, le dixième étant disqualifié par une inopportune extinction vocale.

De telles qualités s'épanouissent dès les trois premières, de Johann Bach (1604-1673) – Unser Leben ist ein Schatten, Sei nun wieder zufrieden etWeint nicht um meinen Tod qui décline la vanité lasse des biens terrestres et l'espérance après la mort. Un demi-siècle plus tard, Johann Michael (1648-1694) intègre une spatialisation de la fidélité religieuse, ici restituée avec une belle intelligence des lieux, et dont témoignent quatre motets – Herr ich warte auf dein Heil, Sei lieber Tag willkommen, Nun treten wir ins neue Jahr etHalt was du hast. À peu près contemporain, Johann Christoph (1642-1703) livre avec Der Mensch vom Weibe geboren une méditation sur la vie humaine en forme de stances sur la labilité des choses. Lieber Herr Gott etFürchte dich nicht affirment un recueillement plus condensé, mais non moins habité dans la respiration contrapuntique. Une génération plus tard, à quelques années de Johann Sebastian, Johann Ludwig (1677-1731) amène une autre louange du Rédempteur avec Das Blut Jesu Christi, avant un bis à choral et chœur superposés qui confirme la justesse de vue des Vox Luminis [lire notre chronique du 30 mai 2017].

La veille, l'ouverture de l'édition 2017 se fit sous le signe de ce qui fut appelé le Camp du Drap d'Or où, en juin 1520, se rencontrèrent François Ieret Henry VIII. Le climax de ce banquet climatique fut la grande messe où les suites des deux souveraines rivalisèrent pour magnifier la science profonde et virtuose de leurs maîtres de chapelle respectifs, et autres musiciens à leur être attachés. C'est cette confrontation des esthétiques que Denis Raisin Dadre et son ensemble Doulce Mémoire ont choisi de reconstituer, avec l'appoint d'un récitant dont la diction componctionnée devance par trop les conditions acoustiques de l'abbaye.

Si les valeurs longues des pièces anglaises, au premier rang desquelles celles de Nicholas Ludford (c.1485-1557), garantissent une lisibilité d'une texture vocale empreinte d'un hiératisme extatique, la profusion des Français, tels Jean Mouton (1459-1522) ou Claudin de Sermisy (1490-1562) s'enivrent dans un maelström de couleurs immergeant les lignes textuelles. L'éclat des cornets, bombardes, doulçaines, flûtes et sacqueboutes consoleront l'oreille.

GC