Chroniques

par delphine roullier

Don Pasquale
opéra de Gaetano Donizetti

Opéra de Lausanne
- 11 juin 2004
Rita de Letteriis met en scène Don Pasquale de Donizetti à Lausanne
© marc vanappelghem

Si le spectacle de ce soir appartient au genre buffa, mode italienne si prisée en ce XIXème siècle musicalement friand d'inspiration scintillante et rapide, la prouesse de la nouvelle production de l'Opéra de Lausanne est d'avoir eut la volonté d'appréhender le Don Pasquale de Donizetti (créé le 3 janvier 1843, à Paris) dans son strict jeu de drôlerie, épargnant ainsi un engourdissement caricatural hélas si souvent servie dans le genre. Et la bouffonnerie fonctionne à son aise puisqu’à la mauvaise plaisanterie se mêle un trouble cependant exempte d’une quelconque morale.

Car, à y bien penser, rien de l’histoire n'est franchement drôle : Don Pasquale est un riche bourgeois, avare et vieillissant, qui se refuse à léguer sa fortune à Ernesto, son jeune neveu. Pour ce faire, il organise avec l’aide de Malatesta, son médecin conseiller – comme peut l’être un banquier ! –, ses noces arrangées, espérant ainsi s’assurer une descendance directe. Et la très jeune promise – à l’obéissance bien plus qu’à l’amour – est Norina qui, déjà cousine de Malatesta, n’est autre que l’amante du neveu. Aussitôt mariée, la jeune femme revendique à outrance libertinage, dépenses et indépendance dont Don Pasquale fera les frais : en plus des coûts engendrés par le mariage et la vilaine croqueuse d’argent, la perte ira jusqu'à celle de sa fierté masculine, d’abord dans la gifle qu’il recevra, puis et surtout dans la décision finale qu’il aura à prendre. Ainsi la fin, bonheur pour les uns – en l’occurrence les jeunes amants réunis – sera leçon pour les autres. La gageure de ce soir était bel et bien l'alliance du gai sourire et du moins gai savoir qui pense les travers humains dans leur acceptation.

Dans un impeccable et confortable intérieur style design années soixante-dix, pensé par le metteur en scène Rita de Letteriis, se déroule deux heures durant, l’infernale cadence du jeu et du mouvement qui anime la scène. Deux banquettes blanches, un fauteuil et deux tableaux meublent l’ordre de l’intérieur du barbon bourgeois, tandis que le jeu de va-et-vient des comédiens, digne du boulevard, en contrarie l’arrangement. Ordre intérieur perturbé par le désordre extérieur… beau pari que celui-ci. Et les voix le disent : souvent venues de l’extérieur, elles se chevauchent. Aussi l’une des forces des solistes est-elle d’avoir saisit, dans ce qui aurait pu devenir cacophonie, les harmonieux équilibres sonores que la partition donne à entendre.

Dans le rôle-titre, Lorenzo Regazzo assume une véhémence langagière et gestique tout à fait juste. Les mimiques dont il s’empare restituent le ridicule du personnage sans pour autant l’y enfermer : l’avare n’est pas insupportable et l’homme devient plutôt touchant. Quant à sa compagne Norina, incarnée par Raffaella Milanesi, reposant sur une écriture sensiblement délicate à mener, évoque une danse tantôt retenue, tantôt exubérante. Sa voix semble avoir plus cherché à exprimer la fraîcheur du personnage que la prégnance du double jeu qu’elle mène. Son amant Ernesto, le ténor Antonino Siragusa a su, malgré le relatif désagrément d’une allergie passagère, usé des possibilités temporaires de sa voix ; s’il n’a pas évoqué toute la force et le zèle de la jeunesse, il n’en pas moins bien chanté. Quant à la prestation de Malatesta (Josep-Miquel Ramón), elle fut toute réussie, tant par le geste que par la parole, la beauté du timbre ne gâchant rien à son ample mesure.

Vive et pétillante, l’intervention des chœurs, bien que succincte et illustrative, était pleine de charme et de vérité, sorte de chaotique ballet de servants et servantes. Se prêtant admirablement bien au jeu, ils ont honoré gaiement la scintillante musique qui les accompagnait. L’orchestre, conduit par Nicolas Chalvin, a joué avec souplesse, laissant échapper l’ornementation à l’aune de la spontanéité du rire de la salle.

DR