Chroniques

par bertrand bolognesi

Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Opéra Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse
- 27 octobre 2006
Éric Martin-Bonnet est Leporello (Don Giovanni) à l'Opéra-Théâtre d'Avignon
© acm studio

La première partie de la saison avignonnaise rend hommage à Mozart. Après un Requiem (29 septembre) et avant la Messe en ut et Die Zauberflöte (respectivement présentées le 24 novembre et du 29 décembre au 7 janvier), Don Giovanni occupe la scène provençale. Cette production marseillaise indique dès l'abord que nous assisterons à un moment de théâtre dont les maîtres d'œuvres prirent soin de minutieusement construire chaque rôle, offrant une lecture essentiellement concentrée sur le texte et ses situations dramatiques plutôt qu'un gentil divertissement de courte portée.

Certes, la réalisation de Frédéric Bélier-Garcia n'exclut pas le rire, mais rappelle à plusieurs reprises qu’il ne s’agit pas d’une comédie. Il n'est qu'à voir le personnage de Leporello, conçu avec ses souffrances et ses ambigüités – humain rien qu'humain –, et non comme un bouffon sans profondeur. De même la scénographie de Jacques Gabel use-t-elle de peu d'effets, si ce n'est quelques rares et éloquents surlignages, comme le bas de la robe ensanglantée d'Anna après qu'elle ait découvert le cadavre de son père, ou l'emploi de découpes de lumière, créant, par le recours à quelques éléments leitmotiviques (comme le candélabre qui indique toutes les scènes de rues), des ambiances directement lisibles. Enfin, à la tête d'un Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence en net progrès dont il dynamise avantageusement les forces, Theodor Guschlbauer fait pénétrer dès l'Ouverture dans le vif du sujet qui, rappelons-le, commence plutôt sur un registre tragique. Son interprétation semble littéralement sculptée dans la dramaturgie musicale.

Une nouvelle fois, félicitons Raymond Duffaut d'avoir réuni une distribution équilibrée. Au Masetto peut-être un rien léger d'Enrico-Maria Marabelli répond l'attachante et agile Zerlina de Julie Boulianne. Michelle Canniccioni campe une Elvira au timbre chaleureux et coloré, bien qu'avec un bas-médium parfois éteint. Élégance du phrasé, fraîcheur de la voix et belle présence scénique décriront l'Ottavio de Xavier Mas, d'un format cependant un peu restreint dans les ensembles. Nous retrouvons avec un plaisir qui va croissant la basse polonaise Wojtek Smilek en Commandeur. Marina Poplavskaïa se lance corps et âme dans le personnage d'Anna ; elle lui offre une puissance dramatique saisissante et un impact vocal d'une stimulante expressivité. Ces ingrédients de choix nécessitent un bouquet d'épices précieuses : par une composition investie qui jamais ne recourt au moindre cabotinage (même dans l'air du catalogue), un jeu intériorisé que révèle une voix se libérant toujours un peu plus au fil de la représentation, le Leporello d'Éric Martin-Bonnet en livre tous les avantages.

Seule ombre au tableau, Nicolas Cavallier inscrit le rôle-titre en faux de ses partenaires. Indéniablement, cet artiste possède la voix du rôle et son physique lui en faciliterait même l'incarnation, mais ces atouts n'y suffisent pas. Que demeure-t-il d'une belle voix si elle ne nuance pas son chant ? C'est un peu comme un gosier dépourvu de tête, une créature échappée du bestiaire de Bosch, par exemple. Le fait est qu'on ne parvient pas un seul instant à croire en l'existence de ce Don Juan là. Dans une mise en scène conventionnelle, son jeu codé passerait, mais dans une production où les autres rôles sont théâtralement construits avec grand soin, il ne peut être que décalé. Une question se pose : voilà un personnage supposé crédible en séducteur parce que le public sait ce qu'il vient voir, mais les autres protagonistes, ses partenaires sur scène, sont censés ignorer ce savoir-là, de sorte qu'il leur faut rencontrer un vrai pouvoir de séduction chez Don Giovanni ; ce soir, parce qu'il ne séduit véritablement personne, la crédibilité est impossible, ce qui circonscrit cruellement l'émotion.

Considérant que la partition jamais n’est maltraitée, que la majeure partie du plateau vocal se montre plus qu'honorable et qu'on constate un beau travail dramatique, cette ombre n'a pas la force de ternir notre plaisir.

BB