Chroniques

par jérémie szpirglas

Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Grand Théâtre, Genève
- 11 décembre 2009
© carole parodi

Pour mettre en scène un opéra du grand répertoire, trois voies distinctes s’offrent : d’une part la tradition, et ce qu’elle comprend de poncifs et de clichés, auxquels on peut coller ou que l’on veut exploser, et, de l’autre, la partition et le livret. Chez Mozart, et notamment dans un ouvrage aussi abouti et génial que Don Giovanni, nul besoin d’aller chercher très loin, la mise en scène est toute entière dans la partition. Il n’est besoin que de lire, tout est là. Les ensembles vocaux suggèrent la disposition scénique des personnages, les mélodies ont en elles une ébauche du geste théâtral, les rythmes et harmonies naissent directement de l’affect, esquissant le caractère de chaque scène.

Dans cette nouvelle production du Grand Théâtre de Genève, Marthe Keller délaisse les a priori et décide fort justement de laisser parler la musique. Sobre, élégante et pertinente, sa mise en scène est désarmante de naturel et d’évidence, dès la première scène. Si les décors nous placent loin de Séville ou de Burgos, la savante organisation du plateau reflète fidèlement les dessins de la partition et laisse ainsi s’exprimer la narration dans sa plus grande nudité, ménageant au passage toute liberté aux chanteurs d’incarner leurs personnages au travers de et grâce à la phrase musicale.

Cette grande et rare attention profite surtout à Diana Damrau qui incarne l’une des plus touchantes Donna Anna qui soient. Au-delà de son timbre parfait, tout en souplesse, tour à tour cristallin et chaud, ce sont les phrasés qui forcent l’admiration, l’intensité d’émotion qui transparaît dans un simple souffle, les pianissimi dans lesquels elle fond le début de certaines phrases – là où d’autres laisseraient parler une puissance brute, sans nuance, elle cherche l’intimisme du sentiment, le secret de la blessure, l’étreinte de la douleur inavouable, la dignité et la noblesse. Diana Damrau vole ainsi la vedette à ses compagnons qui, sans démériter, loin de là – on retiendra notamment le Masetto de Nicolas Testé et la tendre Zerlina de Raffaella Milanesi, mais aussi, dans une moindre mesure, le Leporello de José Fardilha et le Don Giovanni de Pietro Spagnoli –, souffrent d’une certaine paresse dans la direction de Kenneth Montgomery. Magnifique dans le dramatique comme dans le tragique, le chef est en effet plus en peine de bien doser la dimension comique mozartienne – élément pourtant essentiel du livret de Da Ponte –, un comique qui nécessite, plus encore que les orages de la passion ou les accents du destin, un timing parfait, pointu et sautillant.

Sans être du tout ennuyeuse, cette soirée sur laquelle pèsent quelques tempi traînants manque ainsi de peu la perfection.

JS