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Chroniques
Domenico Scarlatti par Alan Curtis
Tolomeo ed Alessandro overo La corona disprezzata
Fidèle à sa vocation de découvreur de joyaux oubliés, Alan Curtis nous fait entendre un dramma per musica créé à la fin de l'année 1711 à Rome, Tolomeo ed Alessandro ou La corona disprezzata, écrit par Domenico Scarlatti sur un livret de Carlo Sigismondo Capeci. L'introduction de Jean-François Lattarico, publiée dans la brochure de salle, invite à considérer l'œuvre comme une métaphore politique portant sur la succession royale polonaise, un éclaircissement parfaitement défendable sous la protection romaine de la reine Maria Casimira en exil.
Vraisemblablement chanté à sa première par une distribution exclusivement masculine se partageant les rôles des deux sexes selon leur registre, Tolomeo ed Alessandro est ici donné par une équipe intégralement féminine dont on saluera dans son ensemble la prestation. Les choix de casting paraissent judicieux durant toute l'exécution, révélant peu à peu leurs atouts. Profitons-en, au risque de paraître enfoncer des portes ouvertes, pour saluer le talent dévoué d'artistes qui s'essaient à des rôles qu'elles ne chanteront peut-être que quelques soirs, pour le seul plaisir de la redécouverte. Cet exercice exige une assimilation rapide et une musicalité hors pair.
En Dorisbe, nous goûtons la délicate sensualité de timbre de la jeune Norvégienne Tuva Semmingsen dont le chant s'affirme sagement conduit. Si La tortorella (Acte I) est charmant, Vorrei vendicarmi (II) oppose vigoureusement rage et tendresse. D'une voix indéniablement agile, le soprano Klara Ek livre une Seleuce à l'aigu avantageux, bien que d'une inflexion assez froide dans È un grave martire (I). Au fil de la soirée, elle libère une expressivité moins sévère, jusqu'au fulgurant Hai vinto du dernier acte. D'abord relativement imprécise, Roberta Invernizzi (Elisa) retrouve dès l'acte médian la superbe qu'on lui connaît, avec un Su, su, mio core haletant de furie, et, mieux encore, l'air Voglio amore o pur vendetta (III) qu'elle nuance subtilement.
Côté messieurs – pour ainsi dire –, bien que grippée Theodora Baka n'a pas décommandé son Araspe dont elle assume précautionneusement la partie. Dans le second air du deuxième acte, elle surmonte les encombrements de sa petite forme pour un Piangi pur, ma non sperare tout à fait probant. Au III, elle se joue avec souplesse et inventivité de Sono idee d'un alma sciolta. De prime abord, Véronique Gens ne convainc pas dans Alessandro. Sa prestation est habile et d'une belle tenue mais, tout en bénéficiant de cette couleur infiniment gracieuse qu'on lui sait, souffre d'une diction assez floue et d'une conception plutôt contrite. L'air Pur sento che l'alma est magnifiquement chanté, incontestablement, l'émotion étant au rendez-vous de ce petit bijou du concert.
Enfin, l'excellente Ann Hallenberg [photo] prête timbre chaleureux, émission précise et remarquable sens du drame à Tolomeo. La souplesse du chant fait merveille dans Rendimi, o crudo fato, dignement investi (Acte I), l'élégance jamais abusive de l'ornementation séduit dans Cielo ingiusto, la saisissante retenue de Torna sol per un momento signe une interprétation d'une sensibilité précieuse. L'on savait qu’Händel, avec la complicité de Haym, avait utilisé la trame de Capeci dans son Tolomeo Re d'Egitto ; on le surprend ici à s'être également inspiré du Stille amare de Scarlatti (III), dix-sept ans après sa composition, dans son propre Stille amare plus célèbre qu'il décline dans un envol au lyrisme nettement affirmé.
À la tête du Complesso Barocco, Alan Curtis s'ingénie à la fluidité et à l'équilibre, profitant toutefois peu des timbres, dans une conception qui gagnerait à oser plus de tonicité.
BB