Chroniques

par bertrand bolognesi

Dom za vesanje | Le temps des Gitans
punk opéra d'Emir Kusturica

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 29 juin 2007
Dom za vesanje (Le temps des Gitans), punk opéra d'Emir Kusturica
© sébastien mathé / opéra national de paris

On s’en souvient : en 1989, un film rencontrait un immense succès, salué à Cannes par un Prix de la mise en scène, et marquait toute une génération. Il s’agissait de Le Temps des Gitans (titre français de Dom za vesanje), tourné en romani, troisième long métrage d’Emir Kusturica, après Te souviens-tu de Dolly Bell ? (1981) et Papa est en voyage d'affaires (1985). Au delà des musiques de Goran Bregović, une certaine chanson tsigane devait alors trotter dans les têtes et y rappeler longtemps le terrain vague de Skopje d’où partent les aventures heureuses et malheureuses du jeune Perhan.

Ce soir – et depuis le 26 juin jusqu’au 15 juillet –, la vertigineuse épopée de Perhan à travers l’ex-Yougoslavie gagne la scène de l’Opéra Bastille, Kusturica ayant imaginé à partir de son film un punk opéra composé par Dejan Sparavalo, Nenad Jankovic et Stribor Kusturica (le fils du réalisateur). Durant un peu moins de deux heures, une grande agitation règnera sur le plateau, conduisant les spectateurs à travers quelques images qui, malheureusement, perdent de leur magie dans cette transposition. Car, une nouvelle fois, c’est sur la toile que Kusturica excelle, et les quelques interludes projetés atteignent une poésie que le spectacle n’effleure pas même. Cuillère promeneuse, plongeon des pommes, alliances hésitantes, autant de moments de répit dans une fiévreuse bousculade.

Tableaux et saynètes se succèdent rapidement, au gré des rythmes assénés par le No Smoking Orchestra conjuguant ses efforts à ceux du Garbage Serbian Philharmonia. Si les présences théâtrales s’avèrent tout à fait convaincantes – et parmi celles-ci l’on remarquera particulièrement Gorica Popovic (la grand-mère) et Milica Todorovic (Azra) –, la difficulté à goûter le charme des voix tsiganes dont la texture se trouve largement dénaturée par la sonorisation crée une distance dommageable. Cela dit, sans doute ne parlons-nous pas ici en public de cinéma : à en juger par l’enthousiasme d’une assemblée qui fait fête à chaque numéro et frappe dans ses mains dès que possible, ce n’est pas en habitué des salles de spectacle qu’il convient de regarder ce nouveau Temps des Gitans. Le plus important reste sans doute qu’il n’est pas désagréable de voir un public heureux.

Quelques moments demeurent dans la mémoire après cette soirée. Une fort belle scène de bain, matérialisée par une vapeur stagnante, un geste qui arrose machinalement une petite cathédrale pour la faire pousser, cette même cathédrale qu’on retrouvera grandie et devant laquelle les protagonistes s’envoleront lentement, pour finir. À ces doux souvenirs qui répondent à leur manière à la question plusieurs fois posée – « La beauté serait-elle une malédiction ? » – se substitue celui d’un drôlissime lancer d’oies dont réjouissent les aboiements angoissés.

BB