Chroniques

par bertrand bolognesi

Dmitri Sitkovetski et ses amis
œuvres de Beethoven, Chostakovitch, Dvořák et Hellmesberger

Verbier Festival and Academy / Église
- 30 juillet 2005
l'altiste Julian Rachlin
© dr

Le violoniste américain d’origine azéri Dmitri Sitkovetski est un habitué de Verbier. Cette année, pour sa septième participation au festival, on le rencontre dans quatre concerts, dont deux en figure de proue, auxquels nous assisterons samedi et dimanche. Pour commencer, cette fin de matinée invite le public à prendre place dans l’intéressante architecture de l’Église où le soliste s’est entouré de quelques amis pour près de deux heures de musique de chambre.

Avec une relative distance toute élégance, Julian Rachlin [photo] au violon et Iouri Bashmet à l’alto jouent avec Sitkovetski la Cavatine qui ouvre les Quatre miniatures Op.75a que Dvořák écrivit en janvier 1887. Souhaitant prolonger l’expérience d’une écriture volontairement simple à laquelle il venait de s’essayer avec succès dans les Chants populaires Op.73, et entendant, à quarante-six ans, un jeune voisin faire de la musique avec un ami, comme dans ces jeunes années où lui-même prenait plus souvent l’alto avec des collègue pour le plaisir, l’idée lui vint d’écrire un Terzetto en ut majeur pour deux violons et alto qui ne lui demanderait qu’une petite semaine de travail, et de proposer à l’étudiant chimiste d’à côté, Josef Kruis, et à son partenaire Jan Pelikán, tous deux violonistes à leurs heures, de les rejoindre pour le jouer ensemble. Voilà qui explique la rapidité de la réalisation, l’auteur ayant hâte de retrouver cette ambiance particulière des déchiffrages d’antan. Persuadé d’avoir produit une œuvre facile à jouer, il est surpris que les jeunes gens parviennent difficilement à la fin du premier mouvement et se découragent d’aller plus loin. D’abord déçu, Dvořák se remet à sa table et propose trois jours plus tard les Quatre miniatures Op.75a, plus abordables.

Dans le Capriccio qui emprunte un caractère plus populaire, les artistes du jour mordent la corde avec une âpreté bienvenue, en faisant sentir la choséité comme si l’on touchait alors soi-même la vibration, la résistance de la colophane, etc. Ils illuminent la Romance, plutôt que de la rendre mièvre, finissant le court cycle par une Élégie articulée comme au bout du chant, à peine effleurée, sans exagération lyrique, ce qui en renforce d’autant la tristesse, ici jamais plaintive.

Quant au Terzetto qui constituera l’opus 74, il fut créé à Prague le 30 mars 1887, par Karel Ondříček et Jan Buchel aux violons, et Jaroslav Štăstny à l’alto. Sitkovetski et Rachlin font place à l’onctueux Leonidas Kavakos et à Ilya Gringolts qui s’engagent dans des Introduzione et Allegro brillants et irréprochables, mais paraissent superficiels après les secrets non révélés des Miniatures. Le gracieux Scherzo ne bénéficie pas de la même fiabilité, tandis que le dernier mouvement, Thema con varazioni, accuse une conception assez vulgaire qui en appuie tous les effets possibles.

Après l’entracte, Janine Jansen, Julian Rachlin et Elena Bashkirova au piano soulignent le lyrisme du Prélude des Cinq duos pour deux violons et pianos de Chostakovitch, entonnant la Gavotte dans une sonorité claire et d’une exquise fraîcheur, apportant une touche à peine ironique à l’Élégie centrale, avant que de s’amuser à faire de la Valse une gentille musique de kiosque et de rendre la Polka avec esprit, dans une accorte complicité.

Puis, Bashmet gagne le chœur où entourer, avec Nikolaj Znaider au violon, le violoncelle de Lynn Harrell, pour une fort belle exécution du Trio (n°3) en sol majeur Op.9 n°1 de Beethoven. Avec une sonorité délicate et feutrée, Znaider fait preuve d’une grande écoute dès l’Adagio, puis dans l’Allegro con brio où le violoncelle mène discrètement le jeu, dans une fluidité fascinante, tandis que Bashmet distille des mystères à sa façon. L’évidence des échanges et l’équilibre impressionnant caractérisent l’Adagio ma non tanto e cantabile. Surgissant dans un relief explosant de contrastes, le Scherzo jouit d’un art de la nuance exceptionnel, chacun réalisant des pianississimi d’une tendresse inouïe entre deux bondissements plus sonores. Le Presto emporte les trois artistes vers les sommets !

Enfin, il n’est pas loin de treize heures lorsque, soutenu par Elena Bashkirova, un quatuor de violons (Sitkovetski, Rachlin, Kavakos et Znaider) donnent la Romance Op.42 n°2 de Joseph Hellmesberger, grand pédagogue viennois – le jeune Enesco ferait le voyage pour se perfectionner auprès de lui – issu d’une longue lignée de musiciens, à qui l’on doit une bonne vingtaine d’opérettes dans le goût de l’époque, comme en témoigne l’eau-de-rose de cette pièce venue clore le concert dans son sucre.

N’est-ce pas là discrète invitation à une prochaine soirée ?...

BB