Chroniques

par laurent bergnach

Diotima viennois

Paris de la musique / Théâtre des Bouffes du nord
- 15 novembre 2010
autoportrait d'Arnold Schönberg
© vbk, wien

Avec sa septième édition, la biennale Paris de la musique s’affiche résolument « classique et contemporaine » et convoque une grande diversité d’esthétiques. Du 10 au 19 novembre, côtoyant celles de Beethoven, Sibelius ou Ravel, des pièces seront présentées en création mondiale - Autumn pictures de Bechara El-Khoury, Klartraum de Noriko Baba, Volcaniques de Vincent Paulet - ou française - Symphonie n°4 d’Arvo Pärt, Variations orchestrales sur une œuvre de Janáček de Marc-André Dalbavie. Cinq orchestres parisiens et franciliens participent au festival organisé par Musique nouvelle en liberté, réservant aux amateurs de musique de chambre un rendez-vous unique autant que rare.

Les membres de Diotima ouvrent la soirée avec le Quatuor à cordes n°3 de Gilbert Amy, inédit dans la capitale, conçu l’an dernier pour un concours bordelais. Ce mouvement unique, d’une vingtaine de minutes, comporte des « états successifs» qui n’empêchent pas une impression de grande douceur de perdurer. Bousculés de rares agitations postromantiques, d’ébauches grinçantes, la pièce débute dans le calme d’une berceuse (surplace d’harmoniques flûtés), pour finir, de moins en moins ténue, par s’effilocher telle une brume au matin. La tendresse, la souplesse du violon de Naaman Sluchin en conduit idéalement l’exécution.

En 1930, profitant d’un entretien radiophonique sur l’atonalité, Alban Berg rappelle que « même si la perte du majeur et du mineur a entraîné la disparition de quelques possibilités harmoniques, toutes autres conditions constituant la vérité et l’authenticité d’une musique ont été sauvegardés ».

Quatre ans plus tôt, rendant hommage à Zemlinsky [en illustration, portrait par Schönberg], il écrivait une Suite lyrique dont nous entendons ce soir la version avec voix. Alternant des mouvements vifs (de plus en plus âpres et acharnés) à d’autres empreints de délicatesse et d’hésitation, l’œuvre invite Marie-Nicole Lemieux, au grave plein de santé, à délivrer la poésie de Baudelaire. Avec une « septième Bagatelle » d’Anton Webern à la ligne vocale désolée, cette version pourra être savourée sur disque, en janvier prochain (Naïve V 5240).

Les écorchures des murs, répondant à celles d’une partition dominée par des musiciens si proches du public, ont-elles participé à sublimer l’Opus 15 d’Alexander von Zemlinsky ? Sans doute, mais ce Deuxième quatuor (1918), écrit en pleine guerre, de 1913 à 1915, contient une force incroyable, que la conduite ferme et décidée de Yun-Peng Zhao a magnifiée. Succession d’attendrissements, de rages et d’instants suspendus, cette œuvre-synthèse de quarante minutes propose un plaisir du contraste qui n’est plus affaire de mouvements (quatre sont ici enchaînés) mais de moments. Quelle émotion !

LB