Chroniques

par laurent bergnach

Die Nibelungen | Les Nibelungen
film de Fritz Lang – musique de Gottfried Huppertz

Cité de la musique, Paris
- 3 novembre 2007
Die Nibelungen, film de Fritz Lang et musique de Gottfried Huppertz
© dr

En parallèle de l'exposition Richard Wagner, visions d'artistes installée au Musée de la musique (jusqu'au 20 janvier prochain), la projection de Die Nibelungen ouvre magistralement le cycle Visions wagnériennes, consacré à l'héritage du compositeur et à sa diversité musicale. Tourné entre les deux volets consacrés au Docteur Mabuse (1922) et la fable d'anticipation Metropolis (1926), ce diptyque médiévale (1924), sous-titré Une légende du peuple allemand, n'est pas une adaptation de l'œuvre du fondateur de Bayreuth, mais revient aux sources de l'épopée scandinave de l'Edda. Aussi, malgré des noms et des situations familières au connaisseur du Ring –mais on pense aussi à Tristan pour la quête d'une épouse, et à Lohengrin pour l'influence féminine sur un esprit faible –, c'est une légende du XIIIe siècle pleine d'originalité qui s'offre à nous.

La Mort de Siegfried présente le jeune prince partant à la cour du roi Gunther pour demander en mariage sa sœur Kriemhild. Peu après, il terrasse un dragon – se baignant dans un sang qui le rend quasi invulnérable –, puis le fourbe Alberich, roi des Nibelungen, dont il emporte le trésor. À son retour à la cour de Worms, Gunther demande au héros de conquérir pour lui la fière Brunhild qui règne en Islande. Quand celle-ci apprend que la magie a permis sa soumission, elle réclame la mort de Siegfried. Homme lâche et influençable, Gunther laisse son fidèle Hagen von Tronje blesser à mort son frère de sang. Brunhild se suicide sur la dépouille ; quant à sa veuve, coupable d'avoir révélé le talon d'Achille de son mari et ne pouvant supporter un entourage de traitres, elle accepte d'épouser Etzel, le roi des Huns. La Vengeance de Kriemhild se prépare lentement pour s'accomplir furieusement, dans le sang et les flammes.

Entièrement tourné en studio, le film témoigne de l'attrait de Fritz Lang pour la peinture et les études architecturales imposées par son père. Mis en valeur par une lumière stylisée, des costumes et des décors variés participent à la construction d'un monde imaginaire : tandis que Siegfried chevauche au milieu d'arbres et de rochers démesurés, Kremhild passe d'un palais à la rigueur burgonde à un univers boueux et chaotique. Parmi de nombreux effets spéciaux (pétrification, invisibilité, etc.), notons le réalisme du dragon (yeux mobiles, bave, feu) soutenant la crédibilité du chant de Volker, alors que le songe de la sœur de Gunther tient du dessin animé. Enfin, si l'expressionnisme se lit sur les murs, le visage des comédiens demeure, quant à lui, sobrement expressif.

Redoutant la comparaison avec Wagner, Gottfried Huppertz (1887-1937) hésite à mettre en musique ces presque cinq heures de cinéma. Pétrie d'amour et d'aventures, La Mort de Siegfried fait la part belle aux cordes de l'Orchestre de la Radio Flamande, dessinant un climat tendrement héroïque, presque bucolique, que Frank Strobel installe rondement, sans nuances excessives. Les percussions (forge, cloches, combat), la flûte (oiseaux), la harpe (trésor), le piano (feu entourant la demeure de Brunhild) y apportent occasionnellement du relief. À l'instar de l'héroïne passant sa robe de deuil, La Vengeance de Kremhild se pare de notes plus sombres et tendues. Les cymbales annoncent la découverte de la terre des Huns, rythmant une musique presque folklorique, proche de Borodine. Quant au silence, il accompagne quelques moments fatidiques – l'agonie de Siegfried, son corps découvert par Kriemhild, la mort du ménestrel – et vous saisit à chaque fois.

LB