Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Liebe der Danae | L'amour de Danaé
opéra de Richard Strauss

Salzburger Festspiele / Großes Festspielhaus
- 5 août 2016
Alvis Hermanis met en scène Die Liebe der Danae de Strauss à Salzbourg
© monika forster | salzburger festspiele

S’il est un ouvrage de Strauss intimement lié au Salzburger Festspiele, c’est bien L’amour de Danaé. Écrite de 1938 à 1940 sur un livret de Joseph Gregor d’après une idée d’Hugo von Hoffmannsthal, cette fantaisie mythologique en trois actes devait y être créée à l’été 1944. La répétition générale de la production de Rudolf Hartmann eut bien lieu, ouverte au public, juste avant que cette édition du plus prestigieux de nos festivals fut annulée à la suite de l’attentat avorté de la Wolfsschanze (20 août). Ainsi le dernier opéra de Strauss à voir le jour de son vivant sera Capriccio (Munich, 28 octobre 1942), alors que le projet de 1944 naîtrait le 14 août 1952. Ce soir-là, en cette même Festspielhaus où nous sommes, Clemens Krauss dirigeait les Wiener Philharmoniker.

Une nouvelle fois le compositeur abreuve son imagination aux sources antiques, avec la visitation érotique d’une jeune princesse sur laquelle le Dieu des Dieu s’abat en pluie d’or. Est-ce un rêve ? C’est ce que dit l’argument. L’occasion est trop tentante pour le musicien d’inventer les timbres de l’enchantement, figuratifs quant au miroitement du précieux métal mais encore génialement moirés pour l’évocation du phénomène. On sait l’inspiration de Strauss à cristalliser le miracle fécond de Die Frau ohne Schatten ou la présentation de la rose dans Rosenkavalier, dont hérite avantageusement l’émerveillement sensuel du Liebe der Danae. Son ultime opus lyrique oscille adroitement entre ce son de l’or, dira-t-on, et les préoccupations toutes prosaïques de Pollux, le père de l’héroïne, au fil d’une trame volontiers buffa traversée d’îlots exaltés.

Après Günter Krämer il y a douze ans (en coproduction avec la Semperoper de Dresde), Alvis Hermanis signe cette nouvelle production du Salzburger Festspiele. Comme à son habitude [lire nos chroniques du 2 août 2013 et du 20 août 2012], l’artiste letton interroge différents contextes, ce qui l’amène à localiser la légende grecque dans un Orient qu’on ne parvient pas à dater, où Pollux est fait Sultan au cœur d’une cour bigarrée. L’intrigue atteint une dimension supplémentaire sans dépareiller l’original, magnifiée par les costumes du styliste lituanien Juozas Statkevičius, somptueusement colorés et joyeusement foutraques. Également concepteur du décor, Hermanis concentre son inventivité sur une pyramide de céramique blanche tour à tour habillée de précieux tapis persans, ornée de motifs géométriques projetés ou totalement nue, selon que la scène illustre la richesse ou la pauvreté, thèmes centraux de l’ouvrage (on retrouve les préoccupations d’Arabella). Avec la complicité de la chorégraphe russe Alla Sigalova, encore montre-t-il les génies de l’or à l’aide de douze scintillantes silhouettes de danseuses, la plupart du temps sur un second plateau ingénieusement ouvert en surplomb. Gleb Filshtinsky décline savamment les lumières dans cette oscillation constante entre rêve et réalité.

Chaleureusement applaudi pour son Rosenkavalier [lire notre chronique du 14 août 2014], Franz Welser-Möst retrouve avec superbe la musique de Strauss qu’il honore subtilement. S’il profite en gourmand de l’excellence des Wiener Philharmoniker, jamais il ne déroge à l’exigence d’une lecture très tenue qui laisse l’emphase naturelle de la partition s’exprimer d’elle-même, sans rehausseurs de saveur. Quoiqu’inégale, la distribution vocale ne démérite pas. Parmi les quatre Reines – les maîtresses de Jupiter, lui aussi sultan au sérail, au fond –, on remarque surtout la Semele du jeune soprano hongrois Mária Celeng, sa fraicheur de timbre et l’indéniable agilité du chant. Après avoir donné le rôle-titre à New York l’an passé, Regine Hangler livre une Xanthe présente dont on saluera le style fort cultivé. Avec une émission idéalement incisive, Gerhard Siegel semblait recommandé en Midas ; malheureusement, l’intonation n’est pas toujours au rendez-vous. De même Norbert Ernst campe-t-il un Merkur de bon aloi, bien qu’avec une ligne relativement raide. Grand wagnérien, le baryton-basse polonais Tomasz Konieczny demeure en-deçà de ce qu’on attend de Jupiter, ne révélant ses qualités lyriques qu’au duo final.

L’équipe vocale est donc dominée par le facétieux Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Pollux aussi bien chantant qu’il est théâtralement épais, et l’incarnation généreuse de Krassimira Stoïanova : avec une ligne formidablement souple, une inflexion toujours suave et un impact évident, le soprano bulgare sert d’une onctuosité délectable la partie de Danae.

BB