Chroniques

par gilles charlassier

Die Legende von der heiligen Elisabeth
La légende de Sainte Elisabeth

oratorio de Ferenc Liszt
Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
- 15 janvier 2011
Alain Altinoglu joue Die Legende von der heiligen Elisabeth de Liszt en Avignon
© fred toulet

L’année 2011 est celle du bicentenaire de la naissance de Ferenc Liszt. Instinctivement associé au piano, le compositeur hongrois n’est guère attendu dans la programmation d’une maison d’opéra. Pourtant, son intérêt pour la musique lyrique est loin d’être resté marginal : outre les nombreuses transcriptions et paraphrases, on oublie souvent que le jeune Liszt fut l’auteur d’un opéra – peut-être prématuré, l’essai de l’adolescent n’est pas resté au répertoire. Et l’on sait le soutien qu’il prodigua à son gendre, Richard Wagner. Cependant que le virtuose faisait tomber en pâmoison les salons de l’Europe musicale, il nourrissait aussi des penchants mystiques qui le firent tonsurer et, à l’instar d’illustres prédécesseurs, sa muse servit alors la piété. Deux oratorios sont nés sous sa plume – Christus et la Légende de Sainte Elisabeth, programmée ce soir.

L’ouvrage retrace la vie de la sainte patronne de la nation hongroise. Ayant refusé l’héritage princier que lui avait légué son défunt époux, la landgravine Elisabeth de Hongrie est chassée du château de la Wartburg par sa belle-mère, la landgravine Sophie. Elle se rend à Marburg et consacre alors sa vie aux pauvres et à Dieu. Elle fut canonisée quatre ans après sa mort, en 1235.

La partition est composée de six tableaux répartis en deux parties. Après une introduction orchestrale qui commence avec le frémissement des flûtes et progresse vers une lumineuse ascension augurale, la promesse de mariage entre les deux héros, encore enfants, à la Warburg, met en scène les protagonistes obligés de la figuration chevaleresque – landgraves, chevaliers, magnats, vassaux. Le hiératisme inéluctable qui s’en dégage avoue sans doute un peu ostensiblement sa dette à l’égard deTannhäuser et de Lohengrin. L’arrivée d’Elisabeth adulte au tableau suivant coïncide avec un relèvement sensible de l’inspiration. Le duo entre Ludwig et son épouse ne manque pas de sentiment, tandis que le chœur des chevaliers croisés appelle le landgrave à son devoir chrétien, sur un motif reconnaissable et empreint de la pompe qui sied à de tels hérauts. Le troisième tableau s’achève par une péroraison sur ce thème.

Le quatrième voit apparaître la belle-mère, Sophie, inévitable méchante de l’histoire, généreuse en vindicte et écarts harmoniques. Le recueillement d’Elisabeth gagne une paisible victoire sur cet orage et la partition s’achève sur une apothéose qui transsubstantie la martialité des chœurs masculins et les soumet à l’intériorité de leurs consœurs. L’ouvrage évoque alors Thaïs (Massenet), les contours mélodiques et orchestraux se dégagent de leurs atours germaniques pour céder à des influences et ses suavités que l’on qualifierait de plus françaises.

Il est toujours préférable de faire appel à une exécution assurée lorsque l’on veut faire découvrir une rareté, d’autant plus si le secours du visuel n’est pas envisagé, ni envisageable pour le cas d’espèce puisque Liszt interdisait toute représentation scénique de son oratorio – on ne saurait lui donner tort quand on a pu souffrir des Thaïs écrasées de kitsch et de pacotille. Ce soir, la réalisation musicale fait honneur à ces pages oubliées.

Dans le rôle-titre, Christina Dietzsch est un atout de premier plan. La voix, dramatique, brille superbement et met en valeur une diction remarquable. On pardonnera les quelques tensions dans le passage à l’aigu, qui ne seront plus qu’un souvenir dans la seconde partie, quand le mysticisme miséricordieux de la musique aura secouru le soprano allemand. Nora Gubisch contraste avec bonheur en Comtesse Sophie aux graves profonds et vengeurs, bien dans le ton d’un mezzo de caractère. Ludwig est servi par la voix ronde et puissamment harmonique de Marc Barrard. La richesse du timbre est indéniable et fait à peine regretter les rares fêlures, tribu d’un rôle exigeant. Hermann est incarné par Chul Jun Kim. La basse sud-coréenne montre un savoir-faire estimable. Le sénéchal et le magnat hongrois d’Olivier Heyte convainquent moins. Les imprécisions de la ligne trahissent les artifices de la présence dramatique. Jean-Marie Delpas assume les quelques phrases confiées à Frederik II. Deux pages du Centre de Musique Baroque de Versailles prêtent leurs voix à Elisabeth et Ludwig enfants : Pauline Nachman et Augustin Mathieu.

L’orchestre lyrique de Région Avignon Provence réalise une prestation honorable sous la baguette d’Alain Altinoglu [photo]. Le chef français a le mérite de contenir les élans des pupitres pour donner à la formation une homogénéité propice à l’expression religieuse. L’allure un peu poussive du début de l’œuvre trouve certes un écho dans les approximations des violons ou de la flûte. La ferveur de la partition touche cependant les instrumentistes et l’Amen conclusif est illuminé par un legato des cordes enfin conquis. Une mention spéciale sera faite aux violoncelles – le solo est d’emblée rond et honnêtement conduit. Le chœur régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le chœur et la Maîtrise de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse font preuve d’un louable effort de clarté.

Si l’oratorio de Liszt ne bouleverse pas les panthéons de l’histoire de la musique, la courageuse production avignonnaise invite à ne pas oublier, en cette année de commémorations, l’homme de foi sous l’intelligence digitale.

GC