Chroniques

par laurent bergnach

Die kleine Veronika
film de Robert Land – musique de Florian Kmet

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, Paris
- 16 mars 2018
Die kleine Veronika, un film de Land que Florian Kmet accompagne à la guitare
© dr

Deux jours de suite, les hasards du calendrier nous mettent en présence d’une guitare électrique jouant à proximité d’un écran de projection. Hier, ouvert par L’Espace furieux [lire notre chronique du 8 mars 2018], le cycle Écrire le théâtre aujourd’hui se poursuivait dans l’enceinte de la Cité internationale avec la première de Mondes. Dans ce spectacle intimiste de moins d’une heure, Alexandra Badea (auteure d’une vingtaine de pièces de théâtre, romans et scenarii) met en place un échange épistolaire entre un photographe de presse et une jeune femme troublée par l’un de ses clichés. Ce dernier est une image véridique, circulant à l’heure actuelle sur le net – un jeune blessé de guerre, en l’occurrence –, « prétexte pour déclencher une parole poétique intérieure ».

Si les réponses de l’interlocuteur furent écrites quelques jours auparavant, lues à haute voix par la dramaturge assise derrière son clavier d’ordinateur portable, c’est en direct que cette dernière décrit ce qu’elle ressent à contempler ladite photo, par une écriture automatique qui s’interroge sur la complicité de chacun avec les horreurs du monde (Cioran et Laborit à l’appui) et dénonce « les préfabriqués de la pensée qu’on avale et qu’on recrache pour avoir l’air intelligent ». Le flux psychique se matérialise sur un écran géant en fond de scène, accompagné par la guitare de Benjamin Collier, tour à tour minimaliste, fébrile ou spatiale. La musique transcende et apaise un récit d’une platitude de fond et de forme qui se laisse vite oublier, naturellement.

Ce soir, en ciné-concert, on découvre Die kleine Veronika (La petite Véronique, 1929), un film du méconnu Robert Land (né Liebmann en 1887, présumé mort en 1942). Restauré en 2016 par Filmarchiv Austria, ce chef-d’œuvre tardif du muet autrichien raconte la découverte de Vienne par une campagnarde innocente venue y faire sa confirmation, en séjour chez sa tante aux mystérieux revenus. Si notre exquise oie blanche ne sait décrypter un tableau de Léda aux prises avec son cygne ou les familiarités de mâles sans gêne qui s’agglutinent, le public aura vite compris, lui, de quoi il retourne (« le fait que le diable soit masculin étaye l’idée que la libido est masculine », écrivit Freud en 1909). Morale de l’histoire : un environnement délétère entraîne votre chute, mais le pardon d’un amoureux sincère sauve du déshonneur.

En partenariat avec le Forum Culturel Autrichien, cette projection fait intervenir Florian Kmet. Venu à son art avec flûte et clarinette, le Viennois est vite tombé amoureux de la guitare. Ici, pour livrer une musique à demi-improvisée, il approche l’instrument avec les doigts comme avec divers objets (bottleneck, archet, etc.), créant ainsi des climats très variés : la vie dans un alpage aux confins du silence s’oppose à l’ardeur d’une capitale sillonnée de véhicules (train, voiture, calèche) – dont quantité de lieux ont depuis disparus – ; une prière extatique tranche avec la tension d’une faute découverte, etc. Expert en inquiétude grinçante et réverbération métallique, Kmet ouvre aussi la bouche pour siffler avec un oiseau en cage ou fredonner avec un chanteur de cabaret, toujours surprenant et captivant.

LB