Chroniques

par david verdier

Die Jahreszeiten de Joseph Haydn
Olari Elts dirige l‘Ensemble Orchestral de Paris

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 8 février 2011
Olari Elts dirige l‘Ensemble Orchestral de Paris : Die Jahreszeiten de Haydn
© toomas volkmann

Rares sont les interprètes des Saisons de Haydn à arracher la partition de l'extase panthéiste du livret qui, il faut bien le reconnaître, est d'une médiocrité effarante. L'Estonien Olari Elts [photo] est surtout connu à l'étranger et assez peu en France, à l'exception de la création de l'opéra romantique Der Vampyr de Marschner à Rennes en 2008. Ce qui apparaît clairement dès l'ouverture, c'est une approche du Sturm und Drang regardant vers Berlioz ou Weber… loin de la religiosité naïve d'un chant d'actions de grâce mettant en scène les âges de la vie. Si le geste est vif et les relances bien soulignées, il est à noter une relative absence de nuances ainsi qu'une tentation du volume sonore durant toute la première partie. Cette exagération dynamique se concentre principalement sur le chœur et nuit à la cohérence du trio vocal. Il faut dire que le Gächinger Kantorei (fondé par Helmuth Rilling) est une formidable phalange, sans doute plus à même de libérer ses forces telluriques dans un deutsches Requiem qu'à les contraindre dans le cadre plus modeste de l'oratorio de Haydn.

Les entrées de fugue sont relativement monolithiques et renforcent le caractère terrien de l'ensemble (fugue guillerette et fin de l'air Schon eimet froh der Ackersmann). Camilla Tilling et Werner Güra tirent fort bien leur épingle du jeu et se fondent dans cette ambiance pastorale du dialogue de l'homme et de la nature sous le regard de Dieu. Roderick Williams est légèrement en retrait, principalement pour des questions d'accent et une tendance à écraser les phrases et faire du Sarastro.

L'été commence avec des problèmes de justesse dans les réponses à nu altos-violoncelles et des glissendi d'un improbable hautbois, assez proche du chalumeau de Siegfried. Le trio Sie steigt herauf die Sonne est très réussi ; malgré quelques interventions délicates du cor solo et une battue un peu trop métronomique, on est en plein chant d'action de grâce, entre Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. À plusieurs reprises le chœur couvre l'orchestre, ce qui donne aux villageois des côtés bien martiaux. Olari Elts réalise une remarquable entrée des cordes au début du récitatif Wilkommen jetzt, O dunkler Hain, véritable tableau préromantique imitant la vibration sourde provoquée par la chaleur du soleil. Dans la cavatine suivante, Werner Güra est parfait d'intonation et de volume, même s'il est en deçà de ce qu'on peut attendre un jour de lui en Évangéliste.

L'air Welche Labung ist die Sinne donne l'occasion à Camilla Tilling de laisser s'épancher son beau filet de voix, à peine vibrée, sans trop regarder vers l'esthétique du récitatif baroque. L'absence d'incarnation à ce moment-là vient principalement des vers de mirliton de la traduction du livret de James Thomson qui plonge dans l'ennui le lecteur non germaniste. Regrettons, à cette occasion, l'absence d’un surtitrage qui aurait certainement évité les pénibles bruissements de papier.

Il est gênant que le baryton ait tendance à faire entendre l'enveloppe syllabique des mots avant les voyelles (pittoresque « der schwülen Luft »). L'orage est précédé d'un impressionnant passage en pizzicato ; ce silence avant le déchaînement des éléments, Beethoven saura bientôt s'en souvenir en confiant à l'orchestre le rôle ici joué par le chœur. La fugue finale évoque certains passages du Requiem de Mozart. L'ensemble est cependant perturbé par la dynamique chorale et certaines attaques trop tendues et percutantes. La beauté des flatterzunge aux flûtes baroques fait regretter que l'effectif tout entier ne joue pas sur instruments anciens.

Le trio initial de l'automne est gâché par l'intervention de Roderick Williams à l'accent décidément marqué et dénaturant la tenue mozartienne des deux autres. A-t-on entendu un final (O fleiss O edler Fleiss) plus solidement écrit que sous la battue d’Elts ? Étrangement, le timbre de Güra est assez terne, Tilling ne brille pas non plus et tout le duo Ihr Schönen aus der Stadt, kommt her paraît propre mais sans relief, chacun se courant après, sans rien de passionnant. Dans la scène de la chasse, les réponses entre chœur et cor rappellent l'introduction du Freischütz. Enchaîné avec les dissonances du chœur du vin, le chef invite à célébrer une ivresse entre Ländler et opéra romantique.

Changement de ton avec un hiver dont il souligne la parenté avec certaines cantates funèbres de Bach. Le Gächinger Kantorei fait ici merveille, malgré un cruel hautbois solo peu imaginatif, heureusement bien secondé par le contrebasson. Orchestre et solistes accusent une baisse de tension dans le final, intimidés sans doute par la santé vocale insolente du chœur…

DV