Chroniques

par bertrand bolognesi

Die Dreigrochenoper | L’opéra de quat’ sous
opéra de Kurt Weill (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 juin 2009
le compositeur allemand Kurt Weilln auteur de Die Dreigroschenoper
© dr

Comme pour mieux se préparer à l’actualité de septembre prochain, le public parisien s’est trouvé nombreux, ce soir, à venir écouter Die Dreigroschenoper concocté en 1928 par Kurt Weill sur le texte de Bertolt Brecht, bientôt projeté sur les écrans, en deux versions (allemande et française) grâce au regard de Pabst (1931). C’est, en effet, une double présence du dramaturge et du musicien à laquelle il pourra goûter à la fin de l’été, puisque Die sieben Todsünden prendront l’avenue Montaigne, dans une mise en scène de Juliette Deschamps, au moment même où, au Théâtre de la Ville, le Berliner Ensemble jouera Die Dreigroschenoper dans une réalisation de Bob Wilson. Et à parler de Weill, signalons au passage la future création française de Street Scene Opera, œuvre de la période américaine (1947) dont l’Opéra de Toulon confiera la production à Olivier Bénézech en mars.

L’Opéra de quat’sous, autrement dit l’irrévérencieuse passion imaginée par deux illustres berlinois comme en contaminatio actualisé de The Beggar’s opera de Pepusch et Gay (d’ailleurs arrangé en 1947 par Benjamin Britten), voilà qui pourrait surprendre dans l’élégance raffinée des marbres de Bourdelle ornant le bâtiment de Van de Velde et Perret, dans la lumière de Lalique tamisant les tendres couleurs de Denis. C’est que ce Dreigroschenoper-là s’accommode aisément de ce luxe, offrant aux joyaux d’une distribution inattendue le soutien d’un excellent ensemble instrumental.

Outre la remarquable prestation des artistes du Chorus sine nomine, dirigés par la salutaire exigence de Johannes Hiemetsberger, les numéros sont accompagnés avec le plus grand soin par les excellents musiciens de Klangforum Wien, cette formation que l’on entend depuis plus de vingt ans dans l’avant-garde musicale contemporaine sous des baguettes expertes en la matière. HK Gruber, inclassable compositeur, dirige cette exécution sertie dans des bois précieux, endossant lui-même le rôle de Peachum auquel il prête un gosier âcre et rocailleux qui fait florès. De fait, le peu de préoccupation de Weill quant à la modernité trouve un convainquant écho dans la précision et la qualité d’un concert qui en révèle toute l’inscription baroque, pourrait-on dire, intégrant jusqu’au Jazz-Stil cherau compositeur. L’Hochzeitslied, joyeusement vociféré par l’orchestre, fait d’autant plus contraster de drôlerie cette dentelle !

De même la distribution vocale détourne-t-elle l’écoute vers l’opéra, les chanteurs usant toutefois avec une verve différente d’un bel appareil lyrique dont ils réservent la plastique à d’autres soirées. D’abord peu audible, plutôt fade et même rarement juste, Ian Bostridge surprendra par des demi-teintes dont la grâce n’est pas antagoniste avec le rôle du Surineur, grand charmeur de ces dames. Le soprano Dorothea Röschmann use intelligemment d’une certaine âpreté de couleur qu’elle lie d’un phrasé somptueux dans la partie de Polly. On retrouve avec plaisir Hanna Schwarz en Cecilia Peachum à l’émission puissante et à la présence idéale. De même Florian Boesch satisfait-il par la fermeté de son baryton en Tiger Brown. Dans le rôle de Lucy, le mezzo Cora Burggraaf suscite l’enthousiasme par l’incroyable impact de sa voix, grand format, et fait figure de découverte de la soirée. La légère Jenny n’est autre qu’Angelika Kirchschlager, goualeuse à souhait, qui semble connaître beaucoup de joie à explorer toujours plus un répertoire qu’elle servira ici-même en septembre (comme annoncé plus haut). Face à l’enthousiasme du public, quatre bis seront offert, sorte de digest de l’œuvre.

BB