Chroniques

par jérémie szpirglas

Dialogues des carmélites
opéra de Francis Poulenc

Opéra de Tours
- 30 mars 2010
© françois berthon

Créé sous la Première République (même si le bâtiment actuel date de 1889, après deux reconstructions, l’une, complète, lors de son rachat par la ville en 1867, et l’autre, partielle, après un incendie en 1883), à une vingtaine de kilomètres seulement de son domaine de Noizay, entre Amboise et Vouvray, le Grand Théâtre de Tours, avec son charme classique, discret et confortable, est l’écrin idéal pour l’œuvre de Francis Poulenc, Dialogues des Carmélites.

Pour cette nouvelle production, le metteur en scène Gilles Bouillon reste dans le ton, et fait même un pas de plus, avec un résultat des plus esthétiques qui soient. Venu du théâtre, il n’est en rien timoré devant l’opéra et, en allant chercher vers la peinture, trouve un parfait équilibre sur la scène lyrique. Le principe est simple et la réalisation magnifique.

Simplicité est le maître mot quant aux décors de Nathalie Holt et aux lumières de Michel Theuil. Pour les premiers, on se contente d’une série de panneaux occupant toute la hauteur et toute la largeur de la scène, de couleurs sobres (brun sombre, gris clair tirant parfois sur le jaune), garnis chacun d’ouvertures de taille variable. En les combinant de diverses manières, les maîtres d’œuvre obtiennent un espace chaque fois singulier, doté de son caractère archétypal propre, immédiatement identifiable (la chapelle, la chambre de la prieure, etc.). Dans le dernier acte, la geôle et la Place de la Révolution sont figurées par la nudité du plateau – avec, dans un cas, une fosse dans laquelle s’entassent les carmélites et, dans l’autre, un simple tapis rouge en guise d’échafaud. Quant à elles, les lumières sont dosées avec tact et jouent d’admirables contrastes, reproduisant l’atmosphère d’un La Tour ou d’une peinture flamande.

Là-dessus, Gilles Bouillon compose chaque scène comme un véritable tableau, avec ses symétries, ses lignes de forces et ses différents plans au sein desquels se déroule un pan de l’action. Si l’on risque parfois un brin de statisme (l’agonie de la prieure), on reste la plupart du temps émerveillé devant la beauté du travail, complété par des poses et un jeu d’acteur empruntés à l’iconographie religieuse classique.

En contrepoint, la partition de Poulenc est servie avec énergie par un Orchestre Symphonique Région Centre-Tours au mieux de sa forme. La baguette de Jean-Yves Ossonce est franche et sonore – parfois un brin pompier, mais l’écriture symphonique de Poulenc est ainsi faite que ses élans véhéments peuvent occasionnellement sonner avec une emphase exagérée – et ne néglige ni les saveurs orchestrales ni les timbres (même si ceux des bois sont de temps à autre mal dégrossis). On apprécie également la lecture hautement symbolique que le chef fait du texte et la précision de son travail avec les chanteurs – on remarque d’abord le soprano Sophie Marin-Degor (Blanche de la Force) qui alterne entre austérité et délicatesse, suivi de Marie-Ange Todorovitch (Madame de Croissy) et Mireille Delunsch (Madame Lidoine, prise de rôle convaincante).

Côté hommes, l’équilibre et l’émotion retenue dominent : on retiendra la performance fort juste de Ronan Nédélec, baryton chaud et dramatique dans les rôles du Geôlier et de l’Officier, ainsi que celles d’Antoine Normand, qui apporte une pointe d’humour bienvenue dans le rôle du Premier Commissaire, et de Léonard Pezzino en Aumônier discret et émouvant.

JS