Chroniques

par bertrand bolognesi

deux cents ans fêtés avec Webern, Mahler et Dohnányi
Pannon Filharmonikusok, Ildikó Komlósi et Tibor Bogányi

Művészetek Palotája, Budapest
- 4 mars 2011
Tibor Bogányi dirige le Pannon Filharmonikusok
© dr

Comme l’illustre Ferenc Liszt, fêté par toute l’Europe cette année mais plus encore par la Hongrie qui de tous temps l’honora au plus haut degré, c’est en 1811 que naquit l’Orchestre Philharmonique Pannon. Bien qu’accusant quelques deux cents printemps, la formation pecsoise emprunte au XXe siècle pour concocter le menu de son concert pestois. Ainsi la soirée s’ouvre-t-elle par la Passacaille Op.1 composée par Anton Webern en 1908. Tibor Bogányi [photo] en livre une lecture assez alerte dont il contrôle soigneusement l’emphase jusqu’en un délicat travail de la couleur. On remarque une section de cordes d’une grande qualité dont la sonorité affirme une personnalité indéniable – voilà qui n’est pas négligeable à l’heure où tous les orchestres tendent à se ressembler. Le chef inscrit l’œuvre dans une continuité romantique encore proche de Im Sommerwind, par certains côtés. Il en souligne les passages tendres dans un subtil relief des timbres, tout en osant un violent contraste dans le lyrisme général.

Puis le mezzo-soprano Ildikó Komlósi gagne la scène pour les Kindertotenlieder de Gustav Mahler, dans leur version orchestrale de 1904. Après un commencement presque enlevé, le chef suivra précautionneusement la chanteuse, véritable ordonnatrice du temps. D’abord sur la réserve, celle-ci entonne un Nun will die Sonn' so hell aufgehn d’une exquise discrétion, servie par un phrasé d’une souplesse confortable. Le grave somptueux de cette voix, un grave dont la Judit de Bartók sut profiter [lire notre critique du CD Le château de Barbe-Bleue], avantage Nun seh' ich wohl, warum so dunkle Flammen, malgré un vibrato aux proportions parfois dangereuses. Mais si les cordes du Pannon Filharmonikusok font florès, l’on n’en saurait dire autant de ses cuivres. Les bois s’en sortent mieux, si présent dans ce cycle. Rapide, Wenn dein Mütterlein révèle l’évidente expressivité d‘Ildikó Komlósi, conduisant finement la dynamique. Après un Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen excellemment servi par les violoncelles, une vrombissante raucité impose la hargne d‘In diesem Wetter, in diesem Braus. Dans cette tourmente, la voix, alors libérée, est irrésistible, jusqu’en la rédemption indicible de l’extatisme orchestrale final, recueilli.

1943… Béla Bartók a quitté la Hongrie depuis trois ans déjà ; aux États-Unis, il commence la composition de son Concerto pour orchestre, dans la plus grande misère. 1943… Zoltán Kodály est resté à Pest où, depuis le Concerto pour orchestre d’avant-guerre (1939), il écrit exclusivement de la musique chorale, profane ou d’inspiration religieuse. 1943… Ernö Dohnányi est lui aussi à Budapest dont il fut directeur de la Radio et patron de l’Orchestre Philharmonique, mais également professeur à l’Académie Liszt. Il achève alors la Symphonie en mi majeur Op.40 n°2 qu’il révisera en 1956 en Floride où il vit, ayant quitté la Hongrie en 1944 et l’Europe en 1949. Après un premier essai dans le domaine de la symphonie dès 1896 (il a dix-neuf ans), puis une première Symphonie en ré mineur Op.9 créée en 1901, le brillant et élégant Dohnányi attendrait donc plus de quarante ans avant de se lancer une nouvelle fois dans ce genre auquel il donne de vastes proportions, et c’est à près de quatre-vingt ans qu’il s’y penche une dernière fois pour une version définitive. Le caractère général de cette œuvre s’avère franchement héroïque, et ce dès l’ouverture de l’Allegro con brio, ma energico e appassionato, grand et vigoureux unisson de cordes. Tibor Bogányi convoque ici une saine profondeur de sonorité, jouant d’un certain moelleux comme pour mieux balancer les scories martiales à ponctuer un lyrisme un rien mondain.

La facture de ce Dohnányi-là n’est pas éloignée de Richard Strauss, tout en se souvenant d’effets brucknériens qui, pourtant, y semblent anecdotiques. On en perçoit plus encore les influences dans l’Adagio pastorale con sentimento avec ses appels de bois à l’inflexion si reconnaissable, même si brahmsienne se montre l’épaisseur des cordes. Il y a là quelque chose de ces portraits tournés vers le passé que les milliardaires américains des années cinquante se faisaient peindre. Le Burlesque surprend,brisant l’unité qui s’installait. Il s’agit d’un mouvement rythmique à la verve ironique, usant d’un thème d’opérette et de fanfares foraines. Les artistes pecsois le servent avec un brio facétieux, voire truculent. Enfin, l’œuvre se conclut dans une série de variations sur Komm süsser Tod BWV 478 de Bach (Viens, douce mort), introduite par un déchirant duo de violon sur une pédale d’orchestre. Il n’est certes pas indifférent qu’un compositeur de cet âge s’attelle à cette citation, quatre ans avant la fin… La gravité est au rendez-vous, bien sûr, puis, lorsque peu à peu la fugue se développe, une jubilation quasiment triomphante qui mène à un final assez bruyant, avouons-le. Les interprètes déclinent fidèlement tous ces aspects, dans une interprétation qui affirme un meilleur équilibre des pupitres.

BB