Chroniques

par bertrand bolognesi

des Sequenze aux Chemins
Luciano Berio

Cité de la musique, Paris
- 25 et 28 avril 2007

Le programme Chemins intérieurs proposé avenue Jaurès intercale les répons pour quatuor à cordes d’André Boucourechliev (Archipel II, Miroir 2 et Quatuor III) au vaste cycle de Luciano Berio, menant, des Sequenze aux Chemins, à d’autres ramifications. Le rapprochement n’a rien de fortuit : Boucourechliev a nourri ses propres fécondations intimes au contact de Berio avec lequel il collabora à la fin des années cinquante.

Nous assistons aux concerts Berio de mercredi et samedi. Ce dernier regroupe des pièces des dernières années. Mis à part Chemins IIc (su Sequenza IXc), nouvelle version conçue en 1972 pour clarinette basse et orchestre de Chemins IIb pour violon et orchestre de 1970, il promène l’écoute entre 1984 et 1997. Le fait de donner les œuvres pour instrument seul d’un côté et celles pour soliste et ensemble de l’autre, divisant la soirée en deux parties sans d’ailleurs qu’un entracte ponctue l’attention de l’auditoire, ne joue guère en faveur de sa concentration. Plus efficace s’avère la dramaturgie du premier concert, alternant les effectifs, sans d’ailleurs rapprocher directement les correspondances.

En 1984, à la Philharmonie de Los Angeles qui la lui avait commandée Berio livrait Sequenza X pour trompette et piano résonant, dédiée à Ernest Fleischmann. Bruno Nouvion, premier solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France depuis une dizaine d’années, en donne une interprétation tendue et soignée. Remarquons cependant que la maitrise et le systématisme de la maturité semblent avoir éclipsé l’enthousiasme, peut-être moins adroit, des essais précédents. On saluera la grande inventivité dynamique de Christian Rivet autant que sa sensibilité et son endurance à tenir les redondances de la Sequenza XI pour guitare, conçue en 1988. La Sequenza IX fut d’abord écrite pour clarinette, en 1980 (version IXa) ; quelques mois plus tard, avec les aides de John Harle et d’Ivan Roth, le compositeur en signerait une adaptation pour saxophone alto (IXb), légitimant en 1997 celle réalisée par Rocco Parisi pour clarinette basse (IXc). Également soliste de la formation précédemment citée, Didier Pernoit respire étonnamment cette page redoutable.

Les mêmes protagonistes sont accompagnés par leurs camarades du Philhar’ dans les Chemins. Tout d’abord Chemins V (su Sequenza XI) pour guitare et ensemble, datant de 1992, où se laisse entendre Outis, l’opéra que Berio prépare à cette époque. Outre la direction prudente de Josep Pons qui ne rend guère compte de l’énergie de cette pièce, la sonorisation de la guitare ne semble pas une idée vraiment défendable. Certes, l’instrument se fait entendre plus, mais son grave et le recours fréquent à des modes de jeu percussifs disproportionnent son rapport à l’orchestre. De fait, le relais des harpes s’en trouva totalement laissé pour compte, ce qui appauvrit le matériau. À Chemins IIc (su Sequenza IXc) pour clarinette basse et orchestre, le chef n’accorde pas la clarté d’approche suffisante, noyant les reliefs dans une graisse indifférenciée. Du coup, impossible de goûter la subtilité d’écriture de l’œuvre. De même, l’exécution de Kol Od (Chemins VI su Sequenza X) pour trompette et ensemble s’avère molle, la tonicité intrinsèque à la partition – que Pierre Boulez honora si bien lors du concert des quatre-vingt dix ans de Paul Sacher, ici même (30 avril 1996, quelques jours après en avoir dirigé la création à Bâle) – se dissolvant tristement dans les entraves d’une conception brouillonne.

La soirée de mercredi se déroule tout différemment.
Depuis toujours, pour ainsi dire, l’Ensemble Intercontemporain interprète la musique de Berio. L’on ne s’étonnera pas qu’il y nage comme un poison dans l’eau ! C’est donc un concert de répertoire qu’il propose, partant qu’il est aussi important de créer, de jouer la musique qui s’invente dans ce temps que nous partageons avec elle, que de donner à entendre et réentendre celle qu’on dira passée dès après sa première audition. L’extrême précision et la grande souplesse de László Hadady font les délices de la Sequenza VII pour hautbois, écrite en 1969. De même l’alto d’Odile Auboin rencontre-t-il avantageusement la fascination du compositeur pour la virtuosité, dans Chemins II (su Sequenza VI) pour alto et neuf instruments (1967). Susanna Mälkki accorde un soin particulier aux textures, comme en témoigne ensuite le savant équilibre dont elle prend soin dans Chemins IV (su Sequenza VII) pour hautbois et cordes (1975), achevant sa lecture dans une délicatesse inouïe.

Après un court entracte, le public se suspend à l’archet d’Hae-Sun Kang dont laisse pantois l’exceptionnelle interprétation de la splendide Sequenza VIII pour violon (1975, toujours). Maîtrise absolue, inspiration, couleur, présence et énergie habitent un jeu éblouissant. Qu’on ne s’y méprenne pas : la violoniste ne limite pas sa virtuosité au savoir-faire et c’est au contraire d’un souffle tout personnel qu’elle s’empare de l’œuvre. En fin de soirée, elle sert également Corale (su Sequenza VIII) pour violon et ensemble – dix-huit musiciens, soit deux cors et cordes (deux fois quatre violons, trois altos, trois violoncelles et deux contrebasses) –, une pièce de 1981, avec ses proliférations proches de celles de Messagesquisse (Boulez, 1976/77 ; nous sommes dans une même famille de compositeurs, indéniablement), menée par un art accompli de la dynamique.

Enfin, nouvelle recrue de l’EIC (automne 2006), Sébastien Vichard ouvre Points on the Curve to Find pour piano et vingt-deux instrumentistes dans une sonorité moelleuse qui se durcit à mesure que se contraste le geste orchestral. L’approche générale de cet opus de 1974 surprend par sa cohérence et sa vivacité, Susanna Mälkki en révélant subtilement l’architecture sans lui enlever ses secrets. Il semble que la musicienne ait un goût et une oreille rares pour les sons graves, qualités qui signent cette interprétation à la fois fiable, brillante et remarquablement inspirée.

BB