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Der Hirt auf dem Felsen…
une schubertiade avec Alexandre, Aurélien et Denis Pascal
Comme Schubert le fut au sein de la société d'amis dont il aimait s'entourer, le pianiste Denis Pascal est l'âme du groupe de musiciens réunis ce soir sur la scène de Gaveau pour une schubertiade au goût exquis. C'est le soprano français Camille Poul que le pianiste accompagne d'abord, dans quatre Lieder variant les éclairages, du souriant An Sylvia D891 au funèbre Die junge Nonne D828, traversé d'un souffle dramatique saisissant dans l'interprétation des deux artistes. Au Frühlingssehnsucht D957 n°3 qui précède le touchant An Mignon D161, écrit à dix-huit ans, la voix tonique et chaleureuse confère un bel élan. La diction est claire, la voix homogène et la phrase toujours intelligemment conduite. Par sa présence aussi délicate que discrète et son phrasé ciselé, Denis Pascal, quant à lui, instaure un équilibre sonore idéal.
On retrouve le pianiste dans la célèbre Sonate en la mineur « Arpeggione » D821, avec son fils violoncelliste Aurélien. Le charme opère immédiatement sous l'archet fluide et le jeu solaire du jeune interprète qui gorge le thème initial de fraicheur et de vitalité. On est séduit par les couleurs qu'il tire du registre grave de son instrument dans le mouvement lent, avant un final nourri de contrastes et galvanisé par l'étroite complicité des deux interprètes.
Der Hirt auf dem Felsen D965 (1828), qui termine la première partie de la soirée, n'a pu être crée du vivant de Schubert. Par l'ampleur de sa conception et la présence de la clarinette, l'œuvre transgresse sensiblement le cadre du Lied et préfigure le monodrame : « Mais un noir chagrin me consume » lit-on dans le poème, partiellement écrit par Wilhelm Müller, qui laisse poindre in fine une lueur d'espoir. L'exigence virtuose de l'écriture vocale réclame agilité et puissance. Des qualités dont fait preuve Camille Poul, même si les aigus sont parfois un peu tendus. Au sein du trio, la clarinette un rien maniériste de Raphaël Sévère, au côté de la sobriété des autres partenaires, peut parfois freiner l'élan dramatique. L'embellie finale libère les énergies dans un flux très intense.
Nous restons dans les pages du dernier Schubert avec une seconde partie essentiellement instrumentale. Dans la famille Pascal, nous demandons cette fois le père et les deux fils, le violoniste Alexandre partageant le devant de la scène avec Aurélien dans le Nottuno en mi bémol majeur D897 de 1827, pièce sombre et obsessionnelle d'un seul tenant où le piano conducteur – Denis Pascal souverain – tente quelques percées lumineuses dans un espace très confiné, scandé par le rythme implacable de marche. De beaux éclairages engendrés dans des dynamiques extrêmes naissent sous l'archet sensible des deux jeunes interprètes.
Écrit la même année, le Trio en mi bémol majeur D929 n°2, d'une toute autre envergure, consacre cette schubertiade. Ayant rejoint Denis Pascal, Marie-Paule Milone (violoncelle) et Éric Lacrouts (violon) ne tardent pas à nous immerger dans cette œuvre-fleuve où s'expriment tout à la fois le tragique et le sublime schubertiens. Les deux facettes s'incarnent d'emblée dans les thèmes du premier mouvement auquel les interprètes donnent une dimension orchestrale. Non moins sublime est la phrase de l'Andante con moto sous l'archet sensible de Marie-Paule Milone comme sous le toucher admirable de Denis Pascal. Quant à la sonorité rayonnante du violon d'Éric Lacrouts, elle inonde les textures schubertiennes d'une lumière fort émotionnelle. Après un Scherzo rondement mené, c'est un final d'anthologie que nous donnent les trois interprètes, servant avec un même élan l'écriture rhapsodique et habitée du maître autrichien qui sort ici du cadre formel académique : en redonnant par deux fois le thème de l'Andante et en multipliant les sinuosités délectables du discours musical. En bis, une page de Tchaïkovski met en vedette le violon radieux de Lacrouts et laisse s’épanouir l’indicible sensibilité du jeu des artistes.
MT