Chroniques

par françois cavaillès

Death in Venice | Mort à Venise
opéra de Benjamin Britten

Staatsoper, Stuttgart
- 5 juin 2017
Death in Venice, opéra de Benjamin Britten au Staatsoper (Stuttgart)
© dr

My mind beats on
and no words come *

Incipit significatif, certes, comme les premiers jets subtils de flûtes et de harpes coulent l'or de Britten. Mais le manque d'inspiration de l'écrivain, héros du court roman de Thomas Mann, n'est guère celui du compositeur adaptateur, disparu il y a quarante ans en laissant avec Death in Venice (1973) un dernier opéra d'une beauté obsédante.

Coproduite par l'Opéra et l'École de ballet de Stuttgart, galvanisée par l'apport des jeunes danseurs classiques de la fort estimée école John Cranko, la mise en scène moderne et très corporelle signée par le chorégraphe argentin Demis Volpi fait la part belle à la créativité (la vraie : exigeante, ambitieuse et ovationnée) pour dépeindre, en accord avec le génie de Britten, la douce et terrible décomposition d'Aschenbach.

Personnage-type de l'artiste mûrissant, seul passager d'un voyage musical fascinant – le gracieux de la disgrâce, exprimé à merveille par les chœurs et l'orchestre maison, avec le maestro ukrainien Kirill Karabits à la baguette –, l'écrivain Aschenbach est incarné dans tous ses états, de la première apparition vaporeuse derrière une baie vitrée jusqu'au délire charnel final, par le grand ténor souabe Matthias Klink pour une performance théâtrale et lyrique de haute volée.

L'esprit fait miroir de la beauté, la scène pivote souvent et les corps dansant idéalement s'appellent à leurs heures étranges derrière une glace. Le sol jonché de livres chers à l'homme de lettres accueille tantôt (comme lagune, puis comme l'hôtel) les touristes éméchés, les jeunes plagistes et les mourants, probables victimes du choléra.

Miné de doutes à l'épreuve vénitienne sérénissime de l'amour impossible pour un jeune éphèbe inconnu, prénommé Tadzio, le vieux rêveur est brièvement représenté comme un avatar de Britten lorsqu'au clavier de sa chambre d'hôtel il mime un pianiste virtuose. En écho à ses pensées coulent des notes de piano (jouées dans la fosse par Stefan Schreiber), bien qu'il se montre aussi metteur en scène de ses souvenirs et des élans pourtant tout à fait candides de Tadzio.

Pour principal partenaire interlocuteur d'Aschenbach, le baryton autrichien Georg Nigl compose avec pleine réussite les multiples rôles méphistophéliques attendus : mystérieux étranger tentateur du voyage, portier offenseur, maître d'hôtel entraîneur, coiffeur, meneur du bal et... Dionysos. Le spectacle devient total dans les deux grands tableaux de danse (la bacchanale et le culte d'Apollon). Dans de fabuleux décors à fleur de lotus géante, longues guirlandes d'or, minotaure ou sarabande d'arlequins, les protagonistes laissent libre cours à la créativité, qualité toute à l'éloge de cette production. Ainsi bat encore le cœur de l'artiste au dernier rappel.

FC

* Mon esprit est en éveil
et aucun mot ne vient