Chroniques

par david verdier

Das Rheingold | L’or du Rhin
opéra de Richard Wagner

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 4 février 2013
Charles Duprat photographie la reprise de Rheingold (Wagner) à l'Opéra Bastille
© charles duprat | opéra national de paris

Trois ans après, les plus résignés auront suivi les indications de la Divine Comédie et laissé au seuil de l'Opéra Bastille « toute espérance ». La mise en scène du premier volet de cette Tétralogie parisienne par Günter Krämer a été abondamment (et parfois assez sommairement) éreinté dès sa présentation. On ne peut pas reprocher à ce travail de manquer d'idées, bien au contraire. C'est même de l'abondance d'idées que provient le problème, car une suite de bonnes intentions ne fait pas obligatoirement un ensemble cohérent. À trop vouloir faire cohabiter théâtre et sociopolitique, on prend le risque d'engluer dans le concept ce prologue que Wagner se plaisait à nommer sa « petite comédie ».

L'approche Regietheater morcelle en « moments » ce qui devrait être au contraire unifié en une irrésistible trajectoire. Quelques scènes sortent intactes de ce laminage idéologique, comme par exemple la progression d'Alberich au milieu d'une forêt aquatique d'avant-bras gantés de rouge (accessoire vamp par excellence) ou le tour de passe-passe de l’immense ciel bleu qui s'élève et s'écroule soudain en découvrant un gigantesque Gradus ad Parnassum. Verticalité de la musique et autodérision de cet escalier monumental semblant monter à l'infini… Le rideau tombe sur des dieux en casques ailés gravissant les marches alors que des figurants mettent en place les immenses lettres du mot GERMANIA dans la grandiloquence fracassante des derniers accords.

On oubliera facilement des géants déguisés en ouvriers spécialisés et chefs de bande quand il s'agit de faire souffler le vent de la révolte jusque dans la salle, à grands renforts de drapeaux rouges. À oublier également les très attendues transformations (dragon, crapaud) ou le lancinant balancier qui découpe l'énorme masse sphérique censée représenter l'or du Rhin. Le son tridimensionnel lors de la descente au Nibelheim ne se réduit qu'à un plan unique, faute à une mauvaise sonorisation des enclumes. Défaut inverse en ce qui concerne la voix d'Alberich, mal dissimulé derrière la sphère métallique : ses imprécations se dispersent et résonnent de manière aléatoire.

Le regard relèvera ici et là de subtiles allusions au cinéma muet (Loge), sans oublier les références à la bande dessinée (les faux torses des dieux, très Heroic Fantasy). Le metteur en scène pose sur les personnages un regard à la fois distancié et critique qui pourra irriter certains partisans d'une lecture plus traditionnelle ou tout simplement plus facile d'accès. Même avec d'infimes modifications, cette production trop hétérogène ne parvient pas à gagner notre enthousiasme malgré les pistes intéressantes qu'elle esquisse et abandonne dans le même temps.

Une certitude, cependant : ce qui émerge de la fosse suffit amplement à tarir toutes les polémiques que la scène suscite. Derrière le tour de force que représente le fait de diriger l'ouvrage de mémoire (ce qui était déjà le cas en 2010), on note chez Philippe Jordan une indéniable maturité d'intention et de geste qui fouille dans le détail de la partition pour en recueillir une expressivité qui était encore en retrait trois ans plus tôt [lire notre chronique du 10 mars 2010]. Les interventions solistes se nourrissent d'un discours collectif parfaitement synchrone et subordonné à une baguette devenue bras et soutien sans faille. On apprécie tout particulièrement la capacité du chef à concilier lecture chambriste et approche symphonique en dégageant telle ou telle phrase sans perdre de vue l'architecture du mouvement.

Sur ce fond luxueux et confortable, les voix trouvent leurs marques et parviennent à faire oublier certains défauts intrinsèques. Les trois Filles du Rhin balancent négligemment les aigus sur leurs escarpolettes, parfaitement à l'aise et d'une belle homogénéité d'ensemble. L'Alberich de Peter Sidhom joue d'une crédibilité théâtrale pour faire oublier une voix assez neutre, plutôt éloigné des impressionnantes aspérités psychotiques que Wolfgang Ablinger-Sperrhacke met dans son Mime. Le Loge de Kim Begley dépasse par le talent et la voix la charge visuelle de son accoutrement de clown décati, tandis qu’Egils Silins livre un Wotan à l'émission et au timbre minces mais d'une ligne mieux soutenue que Falk Struckmann dans la précédente production. Les lauriers vont à la très belle Fricka de Sophie Koch qu'on se réjouit par avance de retrouver prochainement dans Die Walküre. L'ambre chaleureux du timbre de Qiu Lin Zhang fait encore merveille dans Erda, tandis que la paire Lars Woldt et Günther Groissböck campe deux géants un peu débonnaires et sans noirceurs abyssales. Samuel Youn (Donner) cède à Bernard Richter (Froh) la palme de l'engagement et du volume, tandis que la Freia d'Edith Haller vibre d'un métal plus ambitieux que la modestie du rôle.

DV