Chroniques

par david verdier

Daniele Gatti joue Schubert et Berg
Orchestre National de France

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 26 janvier 2012

Avant que ne débute le concert, on découvre que les contrebasses ont été alignées « à la viennoise », face au chef, tout au fond de l'orchestre. Contrairement à la position latérale, précédemment en vigueur, cette disposition est censée mieux faire ressortir l'assise du son dans le registre grave. Dans le début de la Symphonie n°8 « Inachevée » de Schubert (D.759), le résultat est une image sonore assez analytique, avec un étagement des plans presque top marqué. Il est vrai que la direction de Daniele Gatti s'appuie sur une construction subtilement équilibrée, sans se laisser déborder par la noire effusion sentimentale de rigueur dans cette partition. La minutie de l'approche occasionne quelques « pailles », notamment du côté des cors dans l'exposé du thème – mieux en place à la reprise. Après le dramatisme du début, les tempi se font soudain très allants, le chef ne laissant jamais la tension s'accumuler dans le geste. Dans l'Andante con moto, on retrouve avec plaisir la douceur affirmée de la petite harmonie, notamment le contrôle des notes tenues (basson) et la transparence laiteuse de la clarinette. Quand la ligne se fait moins rêveuse et davantage lyrique, l'hétérogénéité des pupitres réapparaît aussitôt, comme si la maestro se mettait soudain à battre en retrait pour éviter les vertiges et les aspérités quasi-brucknériennes.

Curieuse idée, cette transcription de Reinecke de Der Hirt auf dem Felsen (D.965)… On peut renvoyer volontiers à l'erreur de programmation, mais il faut bien reconnaître que la qualité du Lied de référence n'est en aucun cas valorisée par ce travail à la Viollet-le-Duc. L'écho surajouté aux phrases de la clarinette est du plus mauvais goût, tandis que le son naturel de l'instrument soliste est régulièrement noyé dans le flux orchestral. Le manque de naturel de Chen Reiss se combine à une projection assez courte et un vibrato qui doit affronter sa doublure improbable dans les réponses du cor. Ces éléphants de cuivres occasionnent quelques dégâts dans la porcelaine du Lied ; on frôle le danger à tout moment dans le passage dramatique central. Le printemps revenu, c'est Schubert qui s'habille tout à coup d'un costume d'ouverture à l'italienne… les périlleuses phrases de la conclusion sont – hélas – trop précautionneuses pour séduire pleinement.

Changement de décor total en deuxième partie.
Exeunt les joliesses et les pâturages, place au lyrisme empoisonné de la Lulu Suite. D'emblée, la transparence de la conduite de Daniele Gatti fait merveille, composant un Berg classique et précis tout en arabesques, mais jamais trop expressionniste. Le thème de Lulu s'élève au-dessus d'une polyphonie très dense et volontairement peu chaleureuse, comme un portrait vibré de la perversion du personnage. Le décor musical de ce rondo initial est magnifié par les interventions de Sarah Nemtanu et les sarcasmes d'un trombone solo changé en James Ensor. L'ostinato déboule dans un désordre sauvage de couleurs et de timbres. Seule ombre au tableau, la proximité des percussions avec le mur de fond perturbe la résonance naturelle.

Dans Lied der Lulu, Chen Reiss se montre encore une fois trop occupée à placer sa voix dans le masque, réduisant la ligne à une expression corsetée. À aucun moment, elle n'extrapole son personnage en dehors des limites de la version concert. Les variations élargissent les perspectives ; jamais durant le concert l'orchestre ne sonne avec autant de liberté et de justesse d'intonation que là. Le retour de la voix dans les ultimes moments en paraîtrait presque anecdotique, tant elle se confond au luxueux tapis de notes que déploie Gatti dans cette conclusion.

DV