Chroniques

par richard letawe

Dana Ciocarlie et le Quatuor Psophos

Festival des Forêts / Église Saint Martin, Chelles
- 7 juillet 2007
la pianiste Dana Ciocarlie au Festival des Forêts
© éric manas

Comme son nom l'indique, le Festival des Forêts a une relation forte avec la nature environnante et programme chaque week-end deux « concerts-randonnées » se tenant dans et autour de quelques-uns des plus beaux villages de la forêt de Compiègne. Copieux, le menu de ces journées débute vers midi par une aubade, mini-récital donné en plein air par les musiciens du jour. Elle est suivie d'un pique-nique au cours duquel les mélomanes et une partie des nombreux bénévoles du festival partagent, dans la bonne humeur et en toute cordialité, rillettes, saucissons et camemberts. Aucune étape de la journée n'est obligatoire, de sorte que d’autres randonneurs arrivent au compte-gouttes pendant le repas, ce qui finit par former un groupe assez important, prêt à prendre le départ vers 14h30. Les marcheurs ont le choix entre différents guides : ils peuvent suivre des experts forestiers, un conteur, un professeur de Qi Gong (gymnastique chinoise) ou encore une dessinatrice. Les groupes partent pour une promenade d’environ deux heures, pour se rejoindre dans une clairière où entendre un récital sylvestre. Après quoi les randonneurs reprennent le chemin pour arriver vers 18h au lieu du concert.

Ce samedi, nous sommes à Chelles, beau et paisible village situé à quelques kilomètres de Pierrefonds, dont le bâtiment le plus remarquable est l'Église Saint Martin, construite aux XIIe et XIVe siècles, l'un des plus anciens édifices religieux de la région. Chelles abrite également les vestiges d'un château, site important de l'époque mérovingienne, détruit au XVIIIe siècle, dont subsiste une tour en pierre, mais encore une nécropole découverte en 1863, qui compte mille sept cent soixante-quinze tombes. On y a également trouvé récemment des vestiges carolingiens, le site restant à étudier plus avant. Piano oblige, l'aubade du midi n'est pas donnée à l'air libre, mais à l'intérieur de l'église où Dana Ciocarlie joue des extraits d'œuvres deBeethoven, Schubert,Debussy et les Danses roumaines de Bartók.

Après le sympathique pique-nique, il est temps de partir en randonnée. Nous avons choisi d'accompagner Hugues, un des experts forestiers, sylviculteur retraité après cinquante ans de travail sur le terrain, au conseil d'exploitants privés. Durant la balade, il dresse un panorama complet et didactique de la situation de la forêt de Compiègne. Il montre les différentes espèces qui la composent : hêtres en majorité, chênes, merisiers, érables, charmes, etc. Il parle des difficultés liées au réchauffement climatique et à l'assèchement des sols : les hêtraies sont mal en point, des chênes tombent malades, des espèces commencent à disparaître. Que planter aujourd'hui, alors qu'il faut des décennies à un arbre pour atteindre sa taille et qu'on ignore l'état des sols dans dix ans ? Essentielle, cette question se pose aujourd'hui de façon brutale, car l'économie sylvicole est fragile, à la merci des tempêtes et des dégâts commis par le gibier. Les gestionnaires doivent avoir une vision à long terme et tenter des paris risqués, que les domaines soient gérés par l'Office National des Forêts ou par des propriétaires privés.

Malgré la chaleur, ces deux heures de randonnée passent vite, l'orateur connaissant à fond son sujet dont il parle avec une passion communicative. Notre groupe arrive à la clairière, presque en retard, pour entendre le Quatuor Psophos jouer deux mouvements du Quatuor en fa mineur Hob.III.35 de Haydn. Écouter de la musique de chambre en pleine forêt est une expérience bienfaisante, car le feuillage crée une excellente acoustique ; ses bruissements, loin d'être bruit de fond ou gêne, font partie intégrante de la musique et stimulent l'attention du public. On écouterait donc volontiers l’œuvre en entier, mais il faut laisser le temps aux musiciennes de rejoindre le lieu du concert que les randonneurs rallient par un chemin détourné. Un dernier arrêt est organisé dans le village de Chelles où est servi un goûter bienvenu après les efforts de cette après-midi en pleine nature.

Il est temps de prendre place sur les bancs de l'église où déjà sont présents les mélomanes qui n'ont pas pris part à la randonnée. La première partie du concert est consacrée à Debussy dont Dana Ciocarlie donne trois pièces : Cloche à travers les feuilles, Et la lune descend sur le temple qui fut, Poissons d'or. Particulièrement évocatrices après ces heures passées en forêt, ces pages exaltent calme, raffinement et sensualité. Le jeu de la pianiste est net et sobre, sans froideur. Debussy encore, avec le Quatuor Op.10 dont les Psophos livrent une version sans concession qui allie austérité, transparence et engagement. Âpre et musclée, cette vision qui ne relâche jamais sa tension – même dans le deuxième mouvement, dont les pizzicati sont presque effectués avec rage – est exigeante pour l'auditeur. Le troisième, à l'atmosphère désolée, est aride et suffocant, et le Finale, après un premier épisode finement ciselé, est mené à son paroxysme par des musiciennes passionnées. Cette interprétation concentrée manque un peu de sensualité, mais reste fascinante et menée à fond par un quatuor puissant, cohérent, qui croit en ce qu'il joue.

Dana Ciocarlie et les Psophos se rejoignent ensuite dans le Quintette pour piano et cordes en la majeur B.155 d’Antonín Dvořák. L’interprétation n'est pas tout-à-fait à la hauteur du chef-d'œuvre, bien qu'elles en aient déjà réalisé un enregistrement. L'explication en est peut-être que le Quatuor Psophos n'est pas ici présent dans sa formation complète : aux habituelles Bleuenn Le Maître, Cécile Grassi et Eve-Marie Caravassilis, respectivement second violon, alto et violoncelle, est adjointe Liza Schatzman qui remplace la première violon titulaire. Moins inspirée par Dvořák que par Debussy, elle livre sa partie de manière hésitante, sans donner d'impulsion à ses partenaires, en commettant de nombreuses fautes d'archet. Privé de brio, le quintette manque de souffle, de couleurs, de souplesse et de lyrisme. Il n’est toutefois rien de déshonorant à cette lecture un peu raide dont le mouvement lent, mené à un rythme assez allant, est intéressant et assez étreignant. Dans les autres parties, les musiciennes confondent trop souvent engagement et brutalité ; elles restent à la lisière de l'œuvre, sans en dévoiler tous les charmes.

Voilà qui conclut une magnifique journée, aussi intéressante du point de vue musical que du point de vue pédestre, aidée par un temps radieux. Avec ces « concerts-randonnée », le Festival des Forêts cultive son originalité. Nous conseillons à tous les mélomanes ayant envie de plus qu'un concert d'aller le découvrir par eux-mêmes.

RL