Chroniques

par marc develey

cycle Rachmaninov : opus 30 et opus 27
Nikolaï Lugansky, Vladimir Ashkenazy et le Philharmonia Orchestra

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 24 octobre 2010
© dr

L’étonnant discord entre un concerto où la rencontre chef-soliste semble ne s’être pas faite et une symphonie en revanche solidement incarnée ternit quelque peu l’aura de ce concert.

Allegro non tanto.D’une élégance marquée dans le legato, le Philharmonia Orchestra ouvre très souplement ce Concerto en ré mineur Op.30 n°3 de Sergeï Rachmaninov, tôt rejoint par l’élégant mezzo forte du piano lors de l’exposition du premier thème. L’acoustique un peu floue des premiers balcons du théâtre laisse tout de même percer le dialogue entre le soliste et l’orchestre, petite conversation sur un mode badin qui n’est pas sans charme. Dans un pianissimo d’une immense douceur, le second thème se déplie dans la tenue irréprochable d’un rubato très maîtrisé. Avec les miniatures en accelerando, on se laisse à disparaître dans la perfection des résonnances du piano, Nikolaï Lugansky se révélant d’une toujours très appréciable justesse de ton. Un climat chambriste s’installe un temps entre piano et bois. Puis, chantonnée, la reprise ; on s’en va mourir dans une fin pianissimo.

L’Intermezzo propose son adagio pétri de nostalgie dans un legato suave au phrasé souplement accentué. Sans excès sentimental, le piano délie le thème dans un majeur plein d’une affectivité amoureusement retenue. L’ensemble explose au retour du mode mineur. Cependant, quoique musicalement très présents, les fortissimi manquent d’habitation et l’on se prend à rêver d’espaces moins désincarnées. Vladimir Ashkenazy ne parvient pas à rejoindre le pianiste dont la partie flotte, surajoutée à celle de l’orchestre. Brouillage des plans sonores et entrée criarde des trompettes n’ont rien pour rassurer l’écoute : l’osmose s’est défaite, ce que vient confirmer un certain flottement dans le tempo et la défaite locale de l’accord rythmique des musiciens eux-mêmes.

Au Finale-Alla breve, quelque chose de plus accordé entre les parties. C’est sec comme un hymne martial, non sans tenue mais sans tendresse. Les trompettes restent désagréablement agressives, mais la flûte sait amener beaucoup de douceur à la raideur de l’orchestre. Le pianiste fait montre d’une belle maîtrise du Steinway et parvient à convaincre par d’exquises miniatures mezzo forte dans l’aigu. Tout cela s’achève, avec un mi-soulagement, dans une coda insuffisamment paroxystique et trompée par la raideur abrupte des cuivres.

On se console cependant de ce concerto sans grâce : en bis, Nikolaï Lugansky offre, de Rachmaninov toujours, le Prélude en sol majeur Op. 32 n°5 aux consonances si ravélienne. Même haut son clair, et ce chantonnement délicieux sur l’ostinato des arpèges à la main gauche. Temps arrêté.

De la Symphonie en mi mineur Op.27 n°2, le Largo d’ouverture fleurit dans une gravité toute de réserve sonore. Les plans orchestraux se lient les uns aux autres dans un son très tiré. Lentement déhiscentes, les nuances tissent un climat d’intense romantisme, arbre poussant en terre ingrate. La plainte du hautbois lance alors le thème et l’Allegro moderato. Sur un chant très phrasé, les cordes vont, velours. Leur dialogue avec les bois esquisse une danse dont une clarinette trop acide ne parvient pas à rompre la grâce. Le beau duo violon solo et hautbois se noie vite dans le bourdonnement hanté des cordes, l’inquiétante mélopée des cors bouchés. De coruscantes marches d’harmonies montantes dessinent alors un mouvement perpétuel dont l’inaboutissement s’apaise enfin pour laisser retour plus serein au thème, danse légère aux cordes. Quelque agitation inquiète précède l’arrêt brusque et net comme un coup de hache. Tout cela très habité.

S’ouvre en galop le scherzo très dansant de l’Allegro molto. Le velouté des cordes chantent le second thème. Quelque chose de ricanant par endroit, des velléités d’explosion, un ton parfois mahlérien, l’inquiétante fugue centrale servent une musique plus incarnée – les difficultés du concerto sont oubliées.

L’Adagio (la majeur) se heurte d’emblée à des stridences de clarinette, heureusement fugaces. Glacis moiré aux violons 2, altos et violoncelles : comme arrimé au cœur de la phrase et de ses appuis rythmiques, le Philharmonia Orchestra peut déployer à l’envi son somptueux nuancier fauve. Le son reste très rond – ce son inspirateur de la musique du cinéma hollywoodien. La grande présence des crescendos et la tendresse non sans ironie de l’ensemble signent ici le plus beau moment du concert. On s’éblouit de l’élégance de la flûte et de souvenirs d’oiseaux aux vents.

Au dernier mouvement - Allegro vivace (mi majeur) - un commencement fortissimo d’imposante présence cède place à plus de calme, dans un mezzo forte toujours bellement maîtrisé. Mineur et majeur alternent : musique de fanfares et de bel canto joyeux aux violons. Nouveau thème, retour du mineur, en gammes descendantes – très convainquant canon par augmentation et diminution tout à la fois, s’anastomosant en tutti. L’orchestre conserve une présence au long court, et ce legato velouté jusque dans les forte en contraste avec l’appel clair des cuivres, jusqu’au finale explosif, peut-être un rien marqué.

MD