Chroniques

par bertrand bolognesi

cycle Mahler / Gergiev : la Résurrection (Symphonie n°2)
Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg

Salle Pleyel, Paris
- 11 décembre 2010
© dr

Sentiment mitigé au sortir de cette exécution de la Résurrection

Poursuivant une intégrale Mahler inaugurée en septembre par la monumentale Huitième, Valery Gergiev livre une vision profondément ancrée dans la culture russe, pour ne pas dire l’église russe, de la Symphonie en ut mineur n°2 de Gustav Mahler. Mais à la superbe de l’inspiration du moment répond trop souvent la trivialité d’un orchestre qui, vraisemblablement, n’est plus à jour techniquement, et dont tout donne à penser qu’il ne travaille pas suffisamment avec son chef.

À l’attaque mafflue des premiers pas de la Totenfeier, vigoureusement mordue par ces ogresses dénommées contrebasses, succède le ton souverain qui impose dès le premier mouvement un climat mystique. Aussi les tempi se soumettent-ils à l’Inconnu, dans l’aura campanaire des gongs. Valery Gergiev distille les mystères, ne renouant avec la fermeté initiale qu’au troisième retour du thème. Bien que l’on perçoive le but recherché, rien ne prend. Si les bois s’avèrent avantageusement colorés, avec une trompette solo ici diablement onctueuse, et si surprennent des pianississimi impensables, la crudité des cordes, contredite par l’épaisseur indicible des deux pizz’ conclusifs, retient l’écoute hors de la lumière qu’il convoque.

Une inflexion grave et gracieuse conduit l’Andante à l’opposé d’un Mahler élégant, ne se départissant pas d’un je-ne-sais-quoi d’ursin à dominer toute l’exécution. Malencontreusement, l’adroit suspens de suaves mezzo-piani, remarquablement entretenus, est bientôt entravé par violoncelles et contrebasses dont la passagère frisolée dénature le rêve d’exactitude. L’acidité des violons ajoute à la déception.

Des Antonius von Padua Fischpredigt se veut fluide comme l’anguille, dans une souple urgence. Mais sans doute Gergiev est-il bien le seul à croire qu’une sassoire de main droite moulinant les étoiles suffit à tenir un orchestre dans sa vertigineuse accélération : tous s’inquiètent, jusqu’aux entrelacs des bois et aux salves de cuivres à patiner sur le gazon. Salutaire Röschen rot, grâce à la majesté simple d’Olga Borodina : cette voix chaleureuse au grave généreusement projeté, au phrasé évident, d’une présence infinie, fait soudain oublier ce qui menaçait d’exaspérer. Sans pontifier jamais, les cuivres de l’Orchestre du théâtre Mariinski livre là un choral d’une formidable hauteur de vue.

C’est dans l’aveuglement de la lumière divine, une résurrection que nul ne doit oser regarder, que cette interprétation place le Scherzo. Les lames d’une introduction cinglante se muent en une fébrile jubilation, tout en dessinant finement les différents plans de l’orchestration, bien que la crudité des cordes et l’éclat parfois hurlant des cuivres regardent Chostakovitch par-delà Mahler. Ayant encore en voix cette symphonie qu’il servait cet hiver [lire notre chronique du 4 février], le Chœur de Radio France, préparé par Matthias Bauer, honore cette soirée d’une approche à la fois vaillante et infiniment musicale. Le soprano délicat d’Anastasia Kalagina ne trouve pas avantage à se trouver confronter au mezzo opulent de Borodina, ce qui ne résume pas l’insuffisance de la prestation, toutefois : d’un médium et d’un grave confidentiels, elle ne parvient guère à servir sa partie.Bref, entre un orchestre approximatif et un choix discutable de distribution vocale, sans trop parler d’un chef qui pourrait bien confondre spontanéité et caprice, cette Résurrection demeure plombée dans une banale condition de mortel.

BB