Chroniques

par david verdier

créations de Sean Shepherd et de Texu Kim
Susanna Mälkki dirige l’Ensemble Intercontemporain

Cité de la musique, Paris
- 10 janvier 2012

En ayant parcouru au préalable le livret de présentation, on aura été surpris de percevoir Blur aux antipodes de l'argument avancé par son auteur – preuve qu'il ne faut pas toujours s'y fier… Sans être pour autant désagréable, ces amalgames de notes fuligineuses ne rappellent pas vraiment le « défilement à différentes vitesses » de la perception du monde. Sean Shepherd écrit en hommage à Magnus Lindberg et, sans chercher à le mimer, sa musique démontre un goût identique pour le traitement des instruments solistes. La mélopée au cor anglais, qui structure toute la première partie, est rapidement relayée par le solo de violoncelle – brillamment interprété par un Pierre Strauch en grande forme, inaugurant un nouvel instrument à la lutherie très design. Le centre de la pièce s'ouvre en épanchements de résonances floues relativement esthétisantes. Une série de sons bouchés s'ébroue progressivement en une pluie de notes éparses et des successions de phrases percussives. Les angles s'adoucissent vers la fin avec l'émergence d'une série de pointillés sonores de durées variables qui se coagulent progressivement dans une coda spirituelle, apaisée et laissant librement résonner les xylophones.

L'étrangeté de la Toccata inquieta de Texu Kim, c'est tout d'abord de voir débarquer un improbable clavecin en contreplaqué placé au centre de la scène, en position concertante. Derrière le kitsch assumé de l'instrument soliste, les doigts impeccables de Dimitri Vassilakis saisissent des grappes de notes avec humour et détachement, tandis que la trompette wah wah pérore sans discontinuer. On s'installe facilement dans ce récit nocturne, peuplé de citations et de mauvais rêves faits d'échappées de notes, tantôt raclées, tantôt feulées… Sans grande ambition, l'écriture en cellules séquencée donne un aspect nerveux et fort sec, souligné par un jeu de luth très discrètement amplifié. Les autres instruments se retirent sur la pointe des pieds, laissent la conclusion au soliste, en fines broderies digitales.

Les six courtes pièces de Gougalon d'Unsuk Chin proposent une conclusion de première partie autrement plus riche et intéressante. Le théâtre de rue chinois fait ici office de référent esthétique à une suite d'univers hauts en couleurs et de formes variées. Le prologue s'ouvre par des glissements frénétiques aux cordes, libérant une énergie très proche du celle du Mandarin de Bartók. La référence revient à plusieurs reprises, quand la musique se fait cérémonial ou cortège, saturée d'impacts de percussion comme pour accompagner le dynamisme d'une danse macabre. La Lamentation de la chanteuse chauve (sic) joue la carte de l'interlope et de la décadence (toute référence à Ionesco ne serait que pure coïncidence). L'intervention de la trompette bouchée introduit une forme « parlée » dans le flux musical. Le Sourire du voyant aux fausses dents (re sic) joue complaisamment sur la propagation d'une même cellule rythmique à travers l'orchestre. C'est vertigineux mais trop bref pour créer une unité avec les pages environnantes. Le duo sur bouteilles en verre et boîte de conserve enlise la pièce dans l'anecdotique et la carte postale. Les deux morceaux conclusifs renouent avec l'intérêt, notamment par la maîtrise rythmique et ces slaps obstinés de contrebasse qui griffent le métal sonore avec beaucoup d'énergie et d'efficacité.

En deuxième partie, La chambre aux échos de Michael Jarrell remplaçait la création de Matthias Pintscher initialement prévue. Seule consolation, il s'agissait ici de la création (française) de la version intégrale. L'effectif instrumental relègue la première partie à un aimable récital de musique de chambre. Les quatre mouvements s'organisent au fil de vingt minutes de musique d'une densité massive, à la limite de la démonstration de force. On est happé sans répit par un flux torrentiel qui se brise en accords brefs, tombant en désordre çà et là. Le deuxième mouvement opère en systole-diastole, libérant de soudaines décharges d'énergie, sons vrillés et fracas de grosse caisse. Le final débute par la perception d'un infime filet d'air vibratoire et s'élève rapidement au milieu des déflagrations dynamiques et des cascades d'accords avant une chute vertigineuse dans l'abîme. Efficace et sans concession.

DV