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Chroniques
création mondiale de Nun komm de Philippe Hersant
Nicolas Bucher, Les Timbres, Sequenza 9.3, Lionel Sow
Le premier des discours préliminaires au concert de clôture est empreint d’une certaine émotion : Antoine Anquetil, le président de Bach en Combrailles, achève son mandat. Non seulement il a assuré la pérennité de la manifestation auvergnate, mais il a accompagné l’élargissement et le renouvellement de la programmation comme du public – avec une équipe de bénévoles à la moyenne d’âge qui ferait pâlir d’envie maints festivals en milieu rural. Vincent Morel, directeur artistique depuis trois ans, lui succède au micro pour quelques mots non moins teintés d’affect. Cette ultime soirée de l’édition 2019, qui célébrait les vingt ans de la manifestation, se révèle singulière en sa commande à Philippe Hersant, autour du choral Nun komm. Ainsi le pèlerinage baroque sur instruments anciens explore-t-il la fécondité contemporaine du Cantor de Leipzig par-delà la vitalité muséographique, sans céder à la tentation du pastiche.
Consacrée à la figure tutélaire, la première partie met à l’affiche une cantate que le Bach en Combrailles n’avait encore jamais programmée, Wir müssen durch viel Trübsal BWV 146. S’ouvrant sur une Sinfonia qui reprend l’Allegro initial du Concerto pour clavier en ré mineur BWV 1052, l’œuvre met en valeur les couleurs de la copie de l’orgue d’Arnstadt dont peut s’enorgueillir Pontaumur. En dialogue avec les pupitres de l’ensemble Les Timbres, placés sous la houlette attentive de Lionel Sow, Nicolas Bucher fait respirer un chatoiement volubile qui privilégie les évolutions mélodiques à la verticalité harmonique. Le vaste premier chœur éponyme prolonge l’emprunt à l’opus précité. Avatar du Largo, la page déploie une ample et grave méditation empreinte d’une intériorité pudiquement douloureuse. Relayés par un appréciable étagement des tessitures, les entrelacs polyphoniques façonnent une texture aérée où les irisations solistes de l’orgue se mêlent au tissu orchestral – nul besoin d’austérité pour faire résonner un recueillement communicatif. Si l’alto Alice Fagard privilégie la rondeur charnue de l’émission dans Ich will nach dem Himmel zu, le soprano Adèle Carlier se distingue par une intervention fruitée, investissant autant l’agilité vocale que la teneur affective, sinon religieuse, de l’airIch säe meine Zähren. Déclamant avec soin le second récitatif, le ténor Safir Behloul est rejoint par la basse Laurent Bourdeaux pour un duo de belle tenue, cheminant vers le réconfort de la foi – Wie will ich mich freuen. Le choral final, Freu dich sehr, o meine Seele, fait appel, à la reprise, à l’intervention du public, dans l’esprit d’une participation liturgique qui transcende les clivages usuels du concert.
La Suite pour orchestre en ut majeur BWV 1066 offre un intermède où les musiciens, en formation consort, sans chef, affirment une collégialité jubilatoire. Dès l’Ouverture, où les rythmes pointés sont délestés de la solennité dans laquelle ils sont parfois amidonnés, dans la tradition lullyste, résonne un foisonnement de saveurs qui défient certains usages de raideur dans les attaques, au profit d’une ligne chantante et souple que l’on retrouvera au fil des six danses de la pièce.
Quoique cela ne fût pas initialement prévu, le changement de plateau pour la création de Philippe Hersant s’est mué en entracte, au demeurant bienvenu dans la chaleur estivale qui n’épargne pas la nef. Moins timide après cette pause, la contribution du public dans le choral de la cantate Nun komm der Heiden Heiland BWV 61, appuyée pour certains spectateurs par un atelier proposé en matinée, rejoint les effectifs de Sequenza 9.3 dans les deux strophes impaires, quand la centrale est réservée aux troupes de Catherine Simonpietri. La troisième s’enrichit d’un contrepoint plus élaboré, avant de laisser Nicolas Bucher jouer à l’orgue le choral éponyme BWV 659. L’auditoire se trouve ainsi familiarisé avec la matrice de la cantate d’Hersant, naturellement intitulée Nun komm.
Les huit quatrains se donnent comme autant de variations – de dynamique, de teintes et d’expression – du motif structurant, qui esquissent une remarquable progression dramatique. Pour autant, le résultat n’a rien d’un brillant exercice de style. L’instrumentarium baroque ne façonne pas une reconstitution moderne de Bach. S’enracinant dans ce même terreau, le compositeur français sème une graine nouvelle, la sienne, qui développe une individualité propre où les parentés avec le modèle nourrissent, à la manière d’un rhizome, sa personnalité originale. Véritable parcours spirituel, la pièce est de celle où l’on a envie de s’installer et dont l’écoute se fait, pour ainsi, dire incarnation.
Après une strophe rappelant la filiation avec une retenue économe, les diminutions rythmiques de la deuxième font frémir une urgence qui fait chavirer la ligne et les timbres dans un bouillonnement hautement expressif, soutenu par les ponctuations de l’orgue dans les graves. La tension se prolonge dans les couplets suivants, jusqu’à un triomphe rayonnant qui se garde de toute emphase superflue :
Gott von Art und Mensch ein Held
Sein’n Weg er zu laufen eilt
La décantation de la révélation christique impose un tournant : la nudité de la partie orchestrale met en évidence la douceur voilée de l’orgue, témoin de l’habileté inspirée de Nicolas Bucher, et le solo de viole de gambe de Myriam Wolfs, montée en tribune non pour l’ostentation concertiste mais dans une sorte d’élévation angélique. Telle un plateau extatique, la dernière strophe confond les contrastes dans un aplat tendre : la consolation de l’Éternité à l’unisson choral d’une belle homogénéité. Loin d’être un écart justifié par un anniversaire, cette commande, défendue avec conviction par Lionel Sow et ses musiciens, invite à voir dans la figue de Bach une source de fécondité qui dépasse les frontières entre répertoires. L’exploration fait partie de la raison d’être d’un festival ; par cette clôture Vincent Morel en fait la démonstration à laquelle on souhaite belle postérité, dès les prochaines éditions.
GC