Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Sirènes de Luca Francesconi
Michel Tabachnik dirige

Agora / Cité de la musique, Paris
- 13 juin 2009
© fermariello

Les noces de la Biennale d’Art Vocal et d’Agora se concluent sous la baguette de Michel Tabachnik pour la création d’une commande de l’Ircam à Luca Francesconi [photo], confiée ce soir aux musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Bruxelles|Orchestre des Flandres et aux artistes du Chœur de la Radio Flamande préparés par Bo Holten. Elève puis assistant de Luciano Berio dans les années quatre-vingt, Francesconi place, volontairement ou non, son inventivité dans le sillage du maître. Répartissant l’espace en cinq groupes vocaux, c’est sur la perception, « algorithme complexe » dit-il, que ses Sirènes au grand souffledéploient leurs charmes. Energie profuse et grande maîtrise du matériau exploré frappent d’emblée l’écoute, une écoute qu’on pourra dire encerclée, car où que se tourne l’oreille il se trouve toujours une source vocale pour l’envahir.

« Pleins et vides, explosions et silences, départs soudains et interruptions, fragmentations et continuité, instabilité et immuabilité, bruits et transparences. […] J’ai voulu générer une nouvelle distribution de ces propriétés dans le temps, avec une vision plus abstraite, reliée davantage à une logique perceptive qu’à une logique narrative ou textuelle », précise le compositeur. De fait, le chef suisse accuse judicieusement ces contrastes dans une interprétation par moment frémissante.

Créé dans sa version complète à l’automne 1977 à Graz, Coro utilisait lui aussi quarante voix. Mêlant la faconde populaire de chants de travail africains et amérindiens à une inspiration poétique violente, celle du Neruda de Résidence sur la terre (traduction française pour Gallimard, 1972, de Residencia en la Tierra), Coro se comprend à l’opposé du dispositif précédent : tandis que Sirènes éclatait la source et encerclait l’écoute, l’écoute de l’œuvre de Berio est absorbée par une source recentrée, les voix étant intégrées aux instruments sur la scène.

Le précieux équilibre obtenu par Tabachnik laisse pantois en ce qu’il brouille adroitement la perception, laissant surgir la scansion comme si de rien n’était et la vocalité où on ne l’attend pas. Le choix de cette œuvre s’inscrit dans une double cohérence, esthétique et thématique, en cette communauté d’idées aux rivages de laquelle les Manifestes de Rizo-Salom [voir notre chronique du 9 juin] purent aborder.

BB