Chroniques

par bertrand bolognesi

création de Michael Jarrell
Le ciel, tout à l’heure encore si limpide, soudain se trouble horriblement

Musica / Halle des Sports de l’Université, Strasbourg
- 21 septembre 2009
© marthe lemelle

Quoi de plus normal, pour l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, que de se produire in loco dans le cadre du rendez-vous avec la musique d’aujourd’hui qu’est Musica, est-on tenté d’affirmer. Pourtant, toutes les éditions du festival n’affichent pas systématiquement un concert de la formation, bien qu’elle soit la plupart du temps présente en fosse lors des représentations données par l’Opéra national du Rhin pendant les semaines qu’il occupe. En tout cas, cette année, l’OPS est là, et bien là, avec un programme s’étalant de 1925 à 2009, soit de Varèse à Jarrell, si l’on parle en œuvres, ou de Varèse à Mantovani, si l’en en parle en générations.

Et c’est un Orchestre Philharmonique de Strasbourg en pleine possession de ses moyens que l’on retrouve ce soir. Après quelques années passées sous la direction de Marc Albrecht, l’orchestre n’accuse aucune faiblesse, y compris dans un répertoire qu’il ne sert pas tous les jours, même si les classiques du premier XXe siècle jalonnent çà et là ses dernières saisons.

C’est par Finale de Bruno Mantovani que ce concert commence, une œuvre composée en 2007 pour le Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon. Après un délicat relais d’un trait de flûte au pupitre des cordes, les mélismes bondissent sur un agrégat à la subtile texture qu’une tension savamment entretenue traverse de part en part. Le raffinement de l’écriture charme d’emblée, opposant à l’élan fébrile le chant d’un hautbois ou une harpe obstinément régulière à l’apparent déchaînement. La pièce finit et semble ne jamais devoir finir, en ce sens qu’elle joue brillamment avec l’évidente notion d’urgence qu’induit l’idée d’un Finale, urgence comme désir toujours essentiel et parfois secret qui, paradoxalement, retarde l’acte lui-même, la fin elle-même consistant alors en tout autre chose. On se prend cependant à devoir imaginer ce que l’exécution pourrait être avec une hargne plus soutenue, une effervescence nettement assumée, bref, une énergie véritable que doublerait un sens de phrasé dont elle demeure malheureusement désertée sous la battue de Pascal Rophé.

Le soprano et compositeur espagnol Pilar Jurado gagne ensuite le plateau pour Arie (1978)de son maître Franco Donatoni. Autre temps, autre son : le contraste entre les deux œuvres constitue presqu’un choc. Là encore, on reste sur sa faim. Il y a, dans cette direction-là, quelque chose d’irréprochable et d’ultra-précis qu’on ne saurait que louer, bien sûr, mais qui ne suffit pas à porter l’interprétation. De même la chanteuse, pour se montrer remarquablement habile, pour ne pas dire virtuose, paraît mettre sa technique en vitrine, figée dans la performance.Quoique gentiment théâtral, cela manque singulièrement d’esprit.

Donné en création mondiale, nous découvrons le nouvel opus de Michael Jarrell : Le ciel, tout à l’heure encore si limpide, soudain se trouble horriblement, au commencement littéralement magmatique qui va s’épuisant peu à peu. Là encore, on aspire à une toute autre ciselure que celle, bien terne, que lui accorde le chef. Sans doute y a-t-il bien des délicatesses à saisir dans l’extinction finale… Massif comme jamais, plus profondément explosif encore, le Varèse d’Arcana (1925, révision de 1960) révèle son éternelle jeunesse, tout en soulignant la qualité des cuivres, des bois et des percussions de l’OPS. Et c’est finalement là qu’il fallait attendre Pascal Rophé, soudain parfaitement avisé.

BB