Chroniques

par bruno serrou

création de la Messe des morts de Thierry Lancino
Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Eliahu Inbal

Salle Pleyel, Paris
- 8 janvier 2010
© steven chaitoff

Pour son premier concert de l’année 2010, l’Orchestre Philharmonique de Radio France livre une création mondiale : une œuvre unique occupant une soirée entière, ample partition funèbre de plus de quatre-vingt minutes – ce qui, espérons-le, n’augure en rien un millésime de triste mémoire. Il s’agissait, en effet, d’un Requiem dans la tradition des grandes messes des morts romantiques.

Compositeur français vivant à New York, Thierry Lancino (né en 1954) n’a pas choisi la facilité en décidant de mettre en musique le rituel funèbre de l’Eglise catholique déjà illustré de si admirable façon par un nombre impressionnant de compositeurs, depuis le Moyen Age jusqu’au XXe siècle.

Avec sa centaine de musiciens –14.12.10.9 coté cordes, deux harpes, bois et cuivres par quatre (huit cors dont quatre aussi tuben Wagner, un cimbasso Verdi, et un tubiste), cinq percussionnistes, neuf timbales, piano préparé pour évoquer la grotte de la Sybille –, quatre-vingt choristes et quatre solistes (soprano, mezzo-soprano, ténor, basse) – effectifs postromantiques –, cette partition tient des requiem apocalyptiques type Berlioz et Verdi au XIXe siècle, voire Britten et Reimann au XXe, et non pas de ceux, plus sereins et lumineux, de Brahms et de Fauré.

À l’instar de Britten qui mêle au rituel latin des poèmes de Wilfred Owen, Lancino intègre un texte en langue vernaculaire de Pascal Quignard qui fait se confronter la Sybille mythologique et le roi David. C’est dans cette partie que le compositeur impose sa griffe, même si le style vocal de cet Introït est trop systématiquement recitativo façon Debussy, avant de céder au chant à la première intervention du soprano, dans l’Ingemisco d’une émouvante simplicité, chanté a capella, où l’on est saisi par le nuancier infini de l’interprète, Heidi Grant Murphy. On retrouve alors les couleurs et élans chers aux romantiques, avec un Dies irae tellurique façon Verdi et un final façon Crépuscule des dieux qui débouche sur l’archaïsme d’un accord parfait (l’entrée au paradis ?) soutenant un unique Amen.

Souvent convenue et comptant quelques tunnels, cette nouvelle partition recèle de beaux moments, comme la séquence Confutatis-Lacrimosa-Offertorium. Œuvre d’évidence sincère et dramatique, ce Requiem ne surprend guère une fois passé le monologue de la Sybille à qui Nora Gubisch donne tout son impact.

La distribution est d’ailleurs impeccable, y compris le ténor Stuart Skelton, qui a du mal à s’imposer au début face aux masses sonores. Mais Nora Gubisch, qui surmonte les difficultés d'une écriture exploitant un peu trop systématiquement le registre grave, est impressionnante dans le médium et dans un aigu de lumière. Nicolas Courjal est une basse d'une solidité et d'une force impressionnante, tandis que le soprano Heidi Grant Murphy est tout de nuances et d’intériorité. Les Chœurs de Radio France s’avèrent remarquables. Eliahu Inbal tient parfaitement le tout, notamment un Philharmonique de Radio France sonnant fier.

Retransmise en direct sur France Musique, cette création fait événement : au milieu d'un public plutôt fourni dans un tel contexte se trouvent réunis de nombreux compositeurs (notamment Philippe Manoury, Philippe Schoeller, Luca Francesconi, Gualtierro Dazzi, Allain Gaussin, Michèle Reverdy, Betsy Jolas, Félix Ibarrando, Philippe Petit, Kaija Saariaho, Régis Campo), le chef d'orchestre Alain Altinoglu… mais pas un seul représentant du ministère de la Culture.

BS