Chroniques

par laurent bergnach

création de Codec Error d’Alexander Schubert
« déconseillé aux épileptiques et aux personnes cardiaques »

les solistes de l’EIC jouent Poppe, Tüzün et Xenakis
Théâtre de Genevilliers
- 15 septembre 2017
trois solistes de l’EIC dans la création de Codec Error d’Alexander Schubert
© deborah lopatin

Du scénographe Daniel Jeanneteau, on avait pu voir des spectacles en lien avec la musique, tels l’opéra Into the Little Hill [lire notre chronique du 22 novembre 2006] ou l’installation-performance Mon corps parle tout seul (2015). L’ancien Strasbourgeois est devenu directeur du Théâtre de Gennevilliers en janvier dernier, avec la certitude que c’est en banlieue « que la place et la fonction de la création contemporaine sont les plus violemment interrogés ». En hébergeant un concert de l’Ensemble Intercontemporain dès la rentrée, cet amateur de rencontre et de partage annonce une saison où l’aujourd’hui sonore aura sa place (Erwan Keravec, Florence Baschet, etc.).

Deux pièces pour percussion solo ouvrent la soirée. Rebonds (1988), la première, signée Iannis Xenakis (1922-2001), alterne d’abord sécheresse et moelleux, sur un rythme assez régulier, paisible, entretenu par Samuel Favre. Quelques accélérations s’invitent, une transe, un decrescendo, un silence, puis s’ouvre une section plus tribale dont la frénésie infiltre même les pianissimi aux wood-blocks. On y sent Xenakis amoureux des mathématiques. Virtuose elle aussi, la seconde est cependant étouffante : Fell (2016), d’Enno Poppe (né en 1969), agitée de bout en bout, où crépite le métal des cloches et cymbales, le bois du güiro. Assis, Victor Hanna fait figure de batteur.

Venu à la composition par la découverte de la musique synthétique et du jazz, Tolga Tüzün (né en 1971) célèbre ces amours de jeunesse dans Metathesis (2006), solo pour deux contrebasses et électronique. Placé à la droite d’un instrument couché qu’il fait gémir de temps à autre, Nicolas Crosse joue l’autre de manières diverses, usant même d’une mailloche pour heurter le bois. Les dernières minutes proposent deux archets sur la contrebasse la plus passive – ça grince, ça couine –, un climax gâché par une fin en queue de poisson aux haut-parleurs. « Pas de direction, pas de pouvoir, pas de valeur, pas de dieu... » écrivait le Turc, lors de la création.

Sur les trois morceaux précédant l’entracte, la brochure de salle ne donne aucune information hormis la durée. En revanche, Alexander Schubert (né en 1979) est largement mis en vedette, avec biographie et entretien. Par ailleurs, c’est à la création de Code Error, sa livraison pour deux percussions, contrebasse et électronique, que se rapporte l’avertissement découvert trop tard par d'aucuns :

« Niveau sonore élevé et effets stromboscopiques [sic]
Déconseillé aux épileptiques et aux personnes cardiaques ».

En effet, pour ceux qui méconnaissent la scène techno d’outre-Rhin, les oreilles (et les yeux) vont prendre une sacré raclée ! Le problème est que le sadomasochisme implique un accord mutuel, sinon… Mais laissons de côté Mike Godwin. Même si le sujet laisse froid, on peut comprendre que Schubert s’intéresse à « l’image du corps à notre époque dominée par le numérique » et qu’il souhaite écrire une musique de décharges et claquements, avec voix métallique sur fond de goutte à goutte (à entendre sur France Musique le 11 octobre 2017, à voir à la Cité de la musique le 26 janvier 18)*. Aussi peut-on comprendre que la jeune génération de l’EIC veuille fuir l’éventuelle routine et montrer son talent à singer des robots-fantômes. En revanche, on saisit mal pourquoi, depuis plusieurs mois, la formation initiée par Boulez donne à l’étranger des programmes qui ont de la tenue et réserve à son fief le débraillé, l’hétéroclite voire l’indigent. Ce mystère, il ne nous intéresse même plus de l’éclaircir.

LB

* nous incitons pourtant à bouder l’expérience, de sinistres échos ayant couru au lendemain du concert (acouphènes, conjonctivite).