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création de …as I am… de Dai Fujikura
Pierre-Laurent Aimard et l’Ensemble Intercontemporain
Ouvert par une soirée dédiée à Prométhée en musique, développé par une table ronde sur L’Art de la fugue joué le soir même [lire notre chronique du 29 mars 2008], approfondi hier par un Liederabend Schumann et Kurtág, le Domaine privé de Pierre-Laurent Aimard se poursuit avec un concert de l’Ensemble Intercontemporain (dont le pianiste fit longtemps partie, s’il est besoin de le rappeler). Avec The Unanswered Question de Charles Ives, ce sont certaines interrogations philosophiques que nous rencontrons, traduites par une gestion particulière de l’espace acoustique, « musicalisé » par le placement des instruments : Susanna Mälkki dirige, face à elle, un quatuor à cordes sur la remarquable égalité d’expression duquel viennent se superposer la section de bois, placée sur le côté du balcon, et le solo de trompette, en tribune arrière. La distance inventée par cette spatialisation qu’on pourrait dire « naturelle »dépasse le recours qu’en eut Mahler.
Si Pierre-Laurent Aimard a joué Ives, comme en témoigneront les programmes de ses récitals et son catalogue discographique, il est également fort sensible à l’univers de György Kurtág. Après Bornemisza Péter mondásai Op.7, vaste concerto pour soprano et piano donné hier, le pianiste a imaginé de faire entendre les Sjeni is romana Op.19, contemporaines du plus célèbre opus 17, Messages de feu demoiselle Troussova (que l’on put réentendre ici-même en mai dernier). On retrouve le soprano Maria Husmann [lire notre chronique du 10 octobre 2007], mettant son expressivité à la fois riche et discrète au service d’une écriture fragmentaire extrêmement exigeante. Alternant les climats, le cycle convoque une inventivité strictement circonscrite dans l’économie intrinsèque à la langue des poèmes de Rimma Dalos.
Susanna Mälkki tisse ensuite les raffinements des Three Inventions écrites par George Benjamin il y a une quinzaine d’années, et dont la première (Molto tranquillo) est dédiée à Messiaen (qui venait de disparaître lorsque la partition fut mise en chantier). À l’élégance d’une oscillation troublante des blocs sonores, lointainement apparentée à certaines préoccupations d’Ives, succèdent les rythmes parfois complexes de Noire=96, strictement articulé, puis les structures fuyantes du Lento final.
Le menu s’avère des plus cohérents, puisqu’Aimard creuse ce qu’il apprécie dans la musique du Britannique qui fut, de l’aveu même du maître, l’élève favori d’Olivier Messiaen dont on entend, pour finir, les Sept Haïkaï de 1962, dans une interprétation flamboyante. Surprise : le pianiste réserve à cette page une sonorité d’une rondeur inhabituelle qui ne nuit en rien à l’impact des rythmes auxquels elle ménage une douceur nouvelle.
Entre ces deux œuvres, l’EIC crée …as I am… pour mezzo-soprano et ensemble, une pièce de Dai Fujikura conçue tout spécialement pour la voix inimitable de Loré Lixenberg. Outre qu’elle introduit l’hommage de Messiaen au Japon qu’il affectionna tant, dans la chronologie du concert, cette création rejoint – à sa manière, toute proportion gardée et, parfois, par antagonisme – l’épisode Kurtág ; il s’agit d’un monodrame continu qui requiert la sonorisation de la voix afin de profiter d’un vaste éventail d’effets.
BB