Chroniques

par laurent bergnach

Counter Phrases
film de Thierry De Mey – musiques variées

Arsenal, Metz
- 26 septembre 2018
Des musiques variées accompagnent la diffusion de "Counter Phrases" (2003)
© cosimo piccardi

En 1997, un film de Thierry De Mey rend compte du travail d’Anne Teresa de Keersmaeker pour Rosas danst Rosas (1983), pièce d’une heure et demie découlant directement de Fase (1982) [lire notre chronique du 20 septembre 2018]. La perception de l’espace s’y trouve chamboulée, ainsi que le rappelle la chorégraphe : « le film et la pièce déploient des rapports complétement différents au proche et au lointain ; un autre rapport aux distances, aux perspectives, aux angles de vue, et au temps aussi – avec le temps condensé du film. Tout cela produit un autre type de fiction » (entretien avec Gilles Amalvi, in brochure Festival d’Automne à Paris).

Six ans plus tard, le cinéaste reprend sa caméra, mais délaisse l’école technique de Louvain (RITO), construite par Henry Van de Velde, pour tourner en extérieur, auprès d’un lac verdoyant. Dix films courts sont ainsi conçus, dynamisés par le cadre naturel (escalier, prairie, etc.) mais aussi par la captation (gros plans qui gomment des corps pour se concentrer sur les bras) et la diffusion en triptyque. Ici s’entendent les pas et souffles des danseurs, mêlés au bruissement des arbres, au sanglot de la pluie. Quant à la musique, Counter Phrases (2003) inverse la démarche habituelle en commandant, après coup, la matière sonore à dix compositeurs dont Aperghis, Hosokawa, Lindberg et Van Eycken. En 2016, sous la conduite de Laurent Cuniot, six musiciens de son ensemble TM+ et quinze autres issus de l’Orchestre symphonique de Mulhouse reprennent une partie du projet original, incluant les interventions isolées d’un trio africain. C’est ce spectacle que nous retrouvons en tournée.

De Robin de Raaff (né en 1968), les vents joyeux d’Orphic Descent accompagnent la mâle descente d’un escalier, avant que l’apparition d’une femme n’appelle des tensions nées de la mise à distance et de l’évitement. Moving Trees fait goûter à l’art d’un maître ès mystère, frémissements et scintillements : le regretté Jonathan Harvey (1939-2012). Avec Luca Francesconi (né en 1956) et Controcanto, une dizaine de danseurs énergiques bénéficie de cordes nerveuses que renforce la percussion. Un solo silencieux fait figure d’entracte avant d’entendre Water, la pièce de Thierry de Mey (né en 1956), également compositeur. Des rencontres éphémères se traduisent par un matériau disloqué (grincements, couinements, fouettements, etc.), avec constance de la cloche à vache. Enfin, après Dance Patterns de Steve Reich (né en 1936) et son retour exceptionnel à l’urbanité, Fausto Romitelli (1963-2004) clôt la soirée avec les notes inquiètes et agitées de Green, Yellow and Blue.

Côté jardin sont réunis Ballaké Sissoko (kora) et ses musiciens, Fassery Diabaté (balafon) et Oumar Niang (guitare n’goni). Dès l’extrait qui donne son titre au spectacle résonne une volubilité joyeuse, un environnement festif qui se retrouvent plus tard, par exemple avec la percussion seule, tendre et ludique, accompagnant le danseur-faune et ses pirouettes, dans les premières minutes de la reprise visuelle de Controcanto. Autre reprise, l’extrait de Dance Patterns délaisse les recettes de Reich et surprend avec une énergie douce et sensuelle, cousine de la rythmique délicate et gracieuse qui accompagnait déjà une danse de femmes parmi les fleurs (Floral Fairy). Ouf ! Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas… [lire notre chronique de la veille].

LB