Chroniques

par bertrand bolognesi

concert inaugural Emmanuel Krivine
Ann Petersen, Orchestre national de France

César Franck, Richard Strauss et Anton von Webern
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 7 septembre 2017
Emmanuel Krivine joue la Symphonie de César Franck pour ouvrir sa saison 16/17
© christophe abramowitz

Après la rentrée de l’Orchestre de Paris [lire notre chronique de la veille], celle de l’Orchestre national de France, marquée par la prise de fonction d’Emmanuel Krivine, successeur de Daniele Gatti à son pupitre. Avant de plonger dans le programme de la soirée, saisissons l’occasion de signaler au lecteur quelques pépites de cette première saison. Le poème symphonique de Pierre-Octave Ferroud (1900-1936), Foules (1924), sera joué au printemps (31 mai 2018) ; on pourra entendre la Kammermusik IV Op.36 n°3 d’Hindemith (25 janvier), Im Sommerwind de Webern et la création française d’At Swim-Two-Bords, double concerto pour violon et violoncelle de Pascal Dusapin (24 mai), ou encore l’orchestration de Nuages gris de Liszt par Heinz Holliger (16 et 19 novembre 2017).

Le menu est ouvert par la Passacaille en ré mineur Op.1 d’Anton von Webern, page de 1908 dont la rigueur croise un lyrisme héritier du romantisme, comme l’a si bien souligné Alain Galliari dans sa biographie du Viennois [lire notre critique de l’ouvrage]. Après des pizz’ d’une sécheresse chirurgicale, l’exécution s’effectue sans espace et, malgré l’entrée des cordes un peu plus souple et un tempo très malléable, demeure sur l’os. Passés les aléas convulsifs de la première section, la seconde est curieusement étirée. Encore ne reconnaît-on pas l’excellence des musiciens du national qui nous ont habitués à des prestations d’une autre qualité. Sans relief, plate et racornie sonne cette pauvre Passacaille étrangement déconstruite.

Bond dans un temps plus proche mais ô combien nostalgique, avec les Vier letzte Lieder Op.150 que Richard Strauss achevait à l’âge de quatre-vingt quatre ans, loin des ruines encore jeunes de sa chère Allemagne. Frühling est à peine moins rude et presse le pas, ne laissant guère loisir à la chanteuse de respirer. Pour servir cet opus, choisir Ann Petersen semble, de prime abord, judicieux, au regard de ses incarnations wagnériennes [lire nos chroniques du 4 juin 2011, du 12 juillet 2013, du 16 avril 2014 et du 18 mars 2017], mais Krivine tend si bien son approche que la voix ne s’y peut déployer. Aucune soie dans September, sensuel comme un scapulaire avec son motif de violons d’une exactitude tristement pharmaceutique. Les instrumentistes paraissent ensuite ne plus oser jouer, dans Beim Schlafengehen, jusqu’en cette phrase de Luc Héry, premier violon dont on sait s’il atteint souvent des sonorités plus riches – cette sévère sévérité ne sied guère à Strauss, vraiment, et pas plus à la technique vocale, bien que le soprano danois parvienne enfin à s’imposer. Pour finir, Jean-Pierre Raynaud fait une mauvaise farce en transposant Im Abendrot dans un blanc et noir de froide carrelure.

Après la frustration de n’avoir guère entendu la si belle voix d’Ann Petersen ni vraiment les Lieder, voilà qu’un bis fait basculer une soirée mal commencée. Plongeant dans les mélodies anciennes du Bavarois, les interprètes offrent Morgen Op.27 n°4, écrit pour sa chère Pauline en 1894 avec accompagnement de piano, puis orchestré en 1897. Soudain, heurts et nerfs se dissipent, la nuance se décorsette et le soprano cisèle le poème – cadeau !

Après l’entracte, la salle, comble une heure plus tôt, a subi quelque élagage… faut-il y voir la désertion de l’éternel public parisien venu voir la soliste avant d’aller dîner ou une trop prégnante déception ? Peu importe : ceux qui partirent eurent tort, comme en témoigne la lecture plus que probante de la Symphonie en ré mineur de César Franck. Fort de son expérience à la tête de La Chambre Philharmonique, orchestre s’exprimant sur instruments anciens qu’il a lui-même formé pour honorer le répertoire romantique dans de justes proportions, Emmanuel Krivine aborde en maître cette page de 1888.

Le premier mouvement compte deux moments : après un Lento auquel la nouvelle baguette de l’ONF accorde une ampleur inspirée, l’Allegro ma non troppo est maintenu dans une profondeur de climat bienvenue. Sans qu’il soit fait sort à tout, le soin de chaque effet met en valeur les timbres dans une proposition dynamique cohérente. L’écho confortable des pizz’ liminaires de l’Allegretto respire sainement pour bientôt soutenir la romance du cor anglais, élan mélodique généreux. Fluidité, équilibre et douceur sont au rendez-vous, par un chaleureux solo de cor et des timbales qu’ouatent les contrebasses. Saluons le superbe choral organistique des bois. Avec son frémissement contenu, le vigoureux Allegro non troppo se teinte d’une élégante gravité dans le tissage des motifs précédents, jusqu’à l’emphase finale.

BB