Chroniques

par bertrand bolognesi

cinq opus de Kaija Saariaho
Camilla Hoitenga, Antti Tikkanen, l’Orchestre de Caen et Vahan Mardirossian

Aspects des musiques d’aujourd’hui / Conservatoire de Caen
- 8 et 10 avril 2011
© priska ketterer

Retour à Caen et aux deux auditoriums de son très actif conservatoire, comme chaque année, au printemps, pour les Aspects des musiques d’aujourd’hui dont la vingt-neuvième édition invite Kaija Saariaho pour une rencontre, deux avant-scènes et cinq concerts. Si, bien évidemment, l’œuvre de la compositrice finlandaise est largement à l’honneur – ces trois journées faisant explorer au public ses divers aspects (de la grande arche symphonique à la pièce solo en passant par l’électronique, le quatuor à cordes, la voix et le concerto) –, c’est par la création d’une page d’un jeune compositeur que s’ouvrit la soirée inaugurale de vendredi.

L’an dernier, la session Appassionato Jeunes Compositeurs organisée par l’Orchestre de Caen saluait Florent Motsch (né en 1980) auquel Mécénat Société Générale, fidèle complice du présent festival, passait commande, dans la foulée, d’une nouvelle œuvre pour orchestre. Conçu à la Casa Velasquez (Madrid) où le musicien est aujourd’hui en résidence, Processiones « tente de recréer l’atmosphère de diverses processions » sans affirmer pourtant « d’inspiration religieuse », précise l’auteur. Elle commence dans la régularité d’un tactus absorbant l’écoute qui d’emblée impose un recueillement. Une assez longue section d’entrelacs contrarie ensuite la pulsation, approfondissant d’autant mieux l’idée musicale en la mettant à distance par l’opposé de ce que l’on pourrait en attendre. Cet unique mouvement d’environ dix-huit minutes se révèle grand geste puissant à l’influence nettement spectrale. Si l’on goûte les appels de cors, projetant une lumière rousse sur les cordes, le trait de trompette solo s’avère incongrument séducteur. Après une résolution discrètement cristallisée, les cordes se superposent en un faux surplace d’où renaît bientôt le tactus initial, plus resserré, soutenant d’interrogatives sonneries de bois – Levinas et Murail, donc, mais aussi Ligeti et Maderna, peut-être. Processiones s’éteint sobrement.

Signant une approche d’une saine clarté de cette première, Vahan Mardirossina, le nouveau patron de l’Orchestre de Caen, servirait en deux soirs quelques cinq opus de Saariaho. Ainsi de L’aile du songe, un concerto pour flûte et orchestre composé en 2001. Imprégnée de la poésie de Saint-John Perse, Kaija Saariaho a plus d’une fois inscrit ses œuvres dans sa proximité. Le concerto s’articule en deux mouvements dont le premier compte trois sections et deux le second. Ainsi l’écoute est-elle traversée d’un Prélude où la flûte de Camilla Hoitenga offre un phrasé large, bientôt absorbée par les échanges épicés entre soliste et orchestre dans Jardin des oiseaux, tandis que fascine l’élégance d’un survol mélancolique pour Oiseau dansant. C’est pourtant dans Terrestre, qui ouvre le second mouvement, que la danse bat son plein : l’enthousiasme de la soliste bondit littéralement dans la partition, invitant les partenaires de l’orchestre à voleter folettement avec elle. L’aile du songe s’achève dans la psalmodie d’un final scandé que la flûte peu à peu raréfie. Quoi que manquant quelque peu d’aura, l’interprétation s’avère toujours élégante, ciselant adroitement les précieux équilibres de cette page.

Le concert inaugural était conclu par Verbendungen, une œuvre déjà ancienne de Kaija Saariaho, écrite en 1984 pour orchestre de chambre avec électronique, constituant bien plus qu’une conclusion mais constituant une ouverture vers les deux journées suivantes. Initialisée dans l’éclat d’un aveuglement, la partition évolue de cette particulière brutalité jusqu’au plus subtil, comme si l’écoute, ne pouvant d’abord percevoir dans le trop, finissait par y tracer un chemin telle la vue qui peu à peu apprend à lire le noir. La richesse timbrique de l’écriture se fond progressivement dans le surgissement annoncé de l’électronique, scellant une rare finesse de facture.

Quarante-huit heures plus tard se refermait la manifestation, avec un concert entièrement dédié à Saariaho. Une douzaine d’instrumentistes de l’Orchestre de Caen s’engage, sous la battue précise de Vahan Mardirossian, dans la stimulante tonicité de Solar, rehaussée de deux pianos, d’une harpe et des percussions à clavier, et mâtinée de sonorités synthétiques inventant un effectif plus développé, parfois, ou moirant délicatement ce qu’ils produisent. Solar (1993) décline une effervescence passionnante, une sorte de minéralité qui transpire à travers l’emploi choisi de micro-tons. Retour dans le passé de la créatrice, avec Lichtbogen, une œuvre qui « trouve son origine dans une aurore boréale à laquelle j’ai eu la chance d’assister dans le ciel arctique ». Le jeu de la lumière, suscitant des effets inattendus d’épaisseur, de texture, de relief, aussi, dans l’orchestre (toujours en effectif chambriste), atteint une portée quasi liturgique.

Enfin, nous retrouvions Graal Théâtre, le concerto pour violon régulièrement donné, ici joué dans sa version de chambre de 1997. Le jeune Antti Tikkanen l’honore d’une sonorité dense, dérogeant à la raucité optée par ses confrères pour cette pièce. L’interprétation s’en fait alors souple, gracieuse et colorée, sans déroger aux exigences de l’expressivité. En miroir, l’élégance de l’orchestre rencontre un lyrisme bienvenu. La virtuosité est au rendez-vous, sans ostentation jamais.

L’an prochain, Aspects des musiques d’aujourd’hui fêtera ses trente ans à travers une édition anniversaire qui explorera l’interprétation dans le domaine contemporain, plutôt que la création, puisque l’on y jouera les pièces commandées durant ce presque tiers de siècle.

BB