Chroniques

par bertrand bolognesi

cinq cantates de Bach
Le Banquet Céleste, Damien Guillon

Auditorium du Musée d’Orsay, Paris
- 13 novembre 2014
le contreténor Damien Guillon ouvre un cycle Bach à l'Auditorium d'Orsay (Paris)
© benjamin de diesbach

Cinq cantates ouvrent ce cycle qui, trois mois durant, habitera l’Auditorium du Musée d’Orsay. Back to Bach propose au public de voyager dans l’univers de Johann Sebastian Bach, directement par les textes ou par le biais de quelques-unes des innombrables adaptations qu’inspira cette musique au fil des siècles. Dix rendez-vous de midi trente promèneront l’écoute, des versions pour quatuors à cordes de quelques fugues du Wohltemperierte Klavier (signées Mozart) aux Brandenburgischen Konzerte pour piano à quatre mains (Max Reger), en passant par Saint-Saëns, Rachmaninov, Schumann et, bien sûr, Mendelssohn et Busoni, sans oublier que Bach lui-même connut cette démarche : ses propres moutures d’œuvres italienne (Marcello, Vivaldi, etc.). Cinq soirées feront figure d’étalon en ce qu’elles s’en tiendront à la main du maître, comme c’est le cas ce soir.

Voilà cinq ans que le contre-ténor Damien Guillon a fondé Le Banquet Céleste. S’il sert ici et là divers programmes baroques, c’est à Bach qu’il consacrait son premier disque. Commençons par le temps pascal avec Christ lag in Todesbanden BWV 4 ouverte dans une inflexion dolente. Le choral s’impose inquiet, discrètement conduit par la saine clarté du ténor, l’autorité douce de la basse et le liant évident de l’alto. Mais l’équilibre est entravé par un soprano un peu aigre qui dessine un hors-piste éthéré. Den Tod niemand zwingen kunnt : la nature même de la voix de Damien Guillon (alto) invite à la méditation profonde. Une rondeur subtile de l’émission pénètre l’écoute. Thomas Hobbs (ténor) est efficace dans l’air suivant, tout de confiance dans le Salut du monde. Après un quatuor vocal plutôt enlevé, on retrouve la basse Benoît Arnould dans l’air Hier ist das rechte Osterlamm. Pour bien connaître sa voix, l’artiste nous paraît aujourd’hui en légère méforme. Certes, sa prestation demeure de grande tenue, mais le sur-grave sonne moins qu’à l’accoutumé et l’exacte réalisation des intervalles n’est pas systématique. Après le duo (soprano et ténor), le choral conclusif caresse d’une sérénité probante (Wir essen und leben wohl).

Quatrième samedi de l’Aven : Bereitet die Wege, bereitet die Bahn BWV 132. Après la savante déclinaison de différents Halleluja, de la tragédie de la Croix à son heuristique, Bach convie à la joie de la Nativité avec un savoureux duo basson-hautbois, luxueusement transmis par Julien Debordes et Patrick Beaugiraud. Céline Scheen (soprano) ne répond guère à cette grâce. La vocalise tournoie dangereusement. De même le ténor semble-t-il un rien encombré par le récitatif, plus à son aise lorsqu’il le peut presque chanter (« Denn dieses ist der Christen kron und Ehre… »). Par-delà une nasalisation dispensable du bas-médium, sa vocalise est irréprochable. Wer bist du ? Par l’enrouement de l’aigu l’air de la basse confirme qu’elle n’est pas dans un bon soir. Le récitatif d’alto visse au cœur du texte – merveille ! – quand l’air suivant (Christi Glieder, ach bedenket) affirme en une sorte d’incroyable candeur l’infaillibilité de l’ornementation.

Donnée pour la première fois le 2 janvier 1724, la cantate Schau, lieber Gott, wie meine Feind BWV 153 s’avère dramatique sans théâtralité superfétatoire, dès son récitatif d’alto. Après le déchirant appel « errette meine Seele! » du ténor et le baume du choral (Und ob gleich alle teufel), l’ensemble orchestral affirme la tourmente absolue par une tonicité idéale. Saluons la belle prestation de Thomas Hobbs dans cette aria, ainsi que la présence résignée de Damien Guillon dans la suivante, Soll ich meinen Lebenslauf unter Kreuz und Trübsal führen (Si je dois poursuivre ma vie entre douleur et souffrance).

En toute logique s’ensuit Ich steh’ mit einem Fuss im Grabe BWV 156 et l’élan souverainement résigné de sa mélodie de hautbois. D’une facture nettement plus complexe, tant harmoniquement que rythmiquement, cette cantate illustre le fond dans sa forme même, jusqu’à trouver la paix dans la simplicité du choral de fin. Quant au premier, il nous réconcilie avec le soprano qui, cette fois, adopte la tendreté générale avec bonheur. L’air d’alto (« … ta volonté sera mon plaisir… ») bouleverse par la pureté du regard porté vers le pire. Toute résistance se dissipe enfin dans Herr, wie du willt, so schicks mit mir (choral).

Doit-on faire commencer l’année religieuse par Noël ou Pâques ? Vaste sujet qui occupa des générations de clercs… Toujours est-il qu’ayant commencé par la communion, les artistes finissent le programme avec la Passion – point d’incohérente ripopée, donc. D’une tristesse infinie, l’arioso dialogué introduit un choral à la soumission presque hardie tant elle est clarteuse. Bonne surprise : Benoît Arnould réapprivoise ses moyens pour un Es ist vollbracht de toute beauté. Sehet, wir gehn hinauf gen Jerusalem BWV 159 nous souhaite la bonne nuit. Back to Bach, du 13 novembre au 10 février.

BB