Chroniques

par bertrand bolognesi

Christoph Eschenbach ouvre la nouvelle saison
Gustav Mahler | Symphonie en ut # mineur n°5

Théâtre Mogador, Paris
- 14 septembre 2005
le chef allemand Christoph Eschenbach ouvre la saison de l'Orchestre de Paris
© dr

On le sait : le temps fort de la nouvelle saison de l'Orchestre de Paris sera Der Ring des Nibelungen, un événement fort attendu qui aura lieu au Théâtre du Châtelet de la fin octobre à la mi-avril, et mis en scène par Bob Wilson (reprise de la production zurichoise). Il va sans dire que la réalisation d'un tel projet empiète sur la programmation symphonique, de sorte que cette dernière paraîtra de prime abord moins copieuse que celle des années précédentes. Il n'empêche que les musiciens de la formation parisienne donneront rien moins que vingt cinq concerts, introduits ce soir par la Symphonie en ut # mineur n°5 de Gustav Mahler.

Il ne sert à rien de répéter que le Théâtre Mogador n'offre pas les conditions acoustiques idéales ; néanmoins, en plaçant les violons de chaque côté de la scène, les altos en centre-droit, les violoncelles en centre-gauche et les contrebasses de front, derrière les bois, Christoph Eschenbach parvient à pallier judicieusement ce handicap, obtenant de cette disposition « à l'ancienne », qui malmène moins l'équilibre général, une meilleure définition sonore de chaque pupitre.

Tout en assumant l'orgie de moyens que Mahler a choisie pour s'exprimer, le chef sculpte son orchestre avec une grande efficacité. Ainsi, après un alerte appel de trompette, tonique autant qu'urgent, il introduit dans un moelleux discret le thème de cordes de la Marche funèbre qu’il maintient dans une articulation ténue. Opposant franchement l'autorité des sonneries de cuivres à la suavité de la mélodie de cordes, il crée une sorte de frayeur, de durable sentiment de danger. Tout en nuançant sa lecture, Eschenbach profite des timbres et, en soignant chaque détail de couleur et en découpant dans le magma les soli qu'il déplace dans une autre lumière où chaque détail est rendu perceptible, radicalise petit à petit un climat présent dès l'abord (cousin avoué de Der Tamboursg'sell) auquel il fait adopter une sécheresse de ton, tout en restant conscient, par l'opulence qu'il donne à la sonorité générale, que les dimensions d'une symphonie exigent un autre souffle que celui du Lied. Lorsque le second thème de cordes survient, il lui imprime une élégance grinçante qui pourrait bien y révéler une étrange fête macabre.

Mêlant âpreté et hargne colérique, Christoph Eschenbach cultive le lyrisme extrême du deuxième mouvement dans la sonorité et la vibration (partie de violoncelle, par exemple). Pour autant, il n'hésite pas à faire crier l'orchestre, ou encore à oser des demi-teintes moins directement lisibles, dans une lumière un rien voilée qui nourrit directement le drame intime. Dosant minutieusement le Scherzo qu'il prend dans un tempo raisonnable, il surprend l’écoute par les terribles oppositions dont regorge une partition pourtant souvent entendue, par la nudité dans laquelle il joue le passage en pizz'. Trouvant l'expressivité dans l'épaisseur en évitant la surenchère, l'interprétation ne cède pas à la sensiblerie dans l'Adagietto, même si cet épisode s'étire un peu trop, au point de générer quelques approximations de la part des cordes. De même rencontrera-t-on çà et là quelques légers signes de fatigue dans le Rondo-Finale, rondement mené.

La question reste ouverte : comment conduire une telle œuvre sans déperdition d'énergie ?... Christoph Eschenbach y parvient, signant une interprétation flamboyante – avec les cuivres particulièrement en grâce, aujourd'hui – qui, tout en accusant les contrastes, demeure d'une cohérence notable.

BB