Chroniques

Christoph Eschenbach au clavier et au pupitre

Salle Pleyel, Paris
- 25 octobre 2006
© henning bagger

Ouverture de soirée sur deux pages de Wolfgang Amadeus Mozart. Nous nous faisons rapidement à l’acoustique un peu sourde des fauteuils d’orchestre (littéralement, le son semble parfois passer au-dessus de la tête) mais serons gênés par l’écho mat renvoyé par la salle à chaque frappe du piano, léger chtoc en doublure de chaque note : seule ombre, peut-être, à ce beau concert.

Si l’Ouverture des Nozze di Figaro reste en deçà de la frénésie joueuse que l’on peut en attendre, la direction deChristoph Eschenbach permet déjà à l’Orchestre de Paris de faire montre d’un fort élégant nuancier. L’équilibre des plans sonores, et l’accentuation marquée, parfois un peu grasse, donnent sa saveur à un ensemble honnête.

Du Concerto en la majeur K.488 n°23, dirigé du piano par le chef, les premières mesures font entendre un fort gracieux quatuor à cordes. La reprise des vents est toute légèreté. Pâte sonore très liée et quelque peu robuste, souplesse des marques rythmiques aux violoncelles et un pupitre de vents qui allie clarté et homogénéité soutiennent une interprétation qui se veut chambriste, avant tout, et classique. Nous voilà touchés par la variété des coloris et l’unité de l’intention expressive : plutôt que de s’en distinguer, l’instrument soliste se lie au tutti à la manière du concerto grosso. Du jeu, parfois précieux – la coda, très Sturm und Drang dans son utilisation du rubato, n’est pas sans flirter avec un certain maniérisme –, on apprécie la qualité du dialogue avec les différents pupitres. Ce n’est pas un grand piano mais c’est assurément un grand concerto.

Sur l’Adagio, le rubato du soliste se fait discret, Lied flottant sur l’eau étale des violons. La gravité sobre du piano, l’infinie tendresse de l’orchestre et l’articulation déliée des plans sonores signent là une belle page. L’Allegro assai confirme, si besoin était, l’unité chambriste de l’ensemble : homogénéité des pupitres, travail soigné de l’articulation, audibilité de chaque plan sonore, intégration du soliste à l’orchestre, variété de la palette expressive des dialogues. Une réussite.

Construite en contraste, la seconde partie de concert est dédiée à la musique française du XXe siècle naissant. Que ce soit dans Ma mère l’Oye de Maurice Ravel ou la Suiten°2 de Bacchus et Ariane Op.43 d’Albert Roussel, on retrouve, porté à une étonnante intensité, tout ce qui faisait la qualité de la première partie : sur le Ravel, chambrisme de la Pavanede la Belle au bois dormant, expressivité et clarté, notamment des vents, sur le Petit Poucet, diversité des textures sonore, à la fois différenciées et homogènes, dans les mystères et les contrastes de Laideronnette, Impératrice des Pagodes, valse délicatement chantée à la clarinette, doublée en dialogue des contrebasses à la fois terribles et geignardes pour Les entretiens de la Belle et de la Bête, éblouissement sonore du Jardin féerique (malgré un violon solo au vibrato parfois chevrotant), ponctué d’un crescendo final d’une très grande dignité grâce à cette réserve de son et de souffle que l’orchestre sait conserver jusqu’au bout.

Quant au Bacchus et Ariane, joué d’une traite de la sobriété de son ouverture Andante jusqu’à l’appel grotesque, effrayant et terriblement entraînant de la Bacchanale finale – dans l’assourdissement de laquelle chaque pupitre parvient encore à faire entendre sa voix –, Christoph Eschenbach fait une transe toute traversée de lyrisme, de mystères, d’ironie et de fureur dionysiaques, servie par un superbe travail d’orchestre.

MD