Chroniques

par bertrand bolognesi

Chostakovitch, Prokofiev, Rachmaninov et Tchaïkovski
récital de mélodies russes, par Polina Chiriaeva (soprano),

Diana Axentii (mezzo-soprano) et Bruno Robilliard (piano)
Salle Molière, Lyon
- 24 janvier 2004
Diana Axentii (mezzo-soprano) photographiée par Bertrand Bolognesi à Lyon
© bertrand bolognesi

Le Voyage musical d’hiver poursuit son exploration de l’âme russe [lire notre chronique de la veille]. Samedi après-midi, grande est la surprise de découvrir une jeune chanteuse originaire de Moldavie, Diana Axentii, dans un récital partagé avec Polina Chiriaeva, une amie russe, elle aussi élève du CNSM de Lyon. Le programme s’ouvre sur quelques extraits des saisissantes Mélodies sur des poèmes d’Anna Akhmatova Op.17 écrites par Prokofiev en 1916, et dont on connaît l’enregistrement bouleversant de Galina Vichnevskaïa effectué à Moscou en octobre 1967. Le soprano Polina Chiriaeva use d’une voix parfaitement placée, à l’émission facile, aux aigus simples, mais au caractère encore un peu timide. Quant à lui, le piano de Bruno Robilliard demeure discret, peut-être trop. Puis le mezzo-soprano Diana Axentii entrée en scène. Et là, « ce fut comme une apparition »…

L’artiste impose une présence évidente, gère déjà parfaitement son trac, avec une aisance que l’on constate habituellement chez celles qui peuvent se prévaloir de quelques années de carrière, mais que presque jamais l’on rencontre en début de carrière. Diana Axentii possède un timbre d’une grande richesse, fort coloré, doté d’une tessiture homogène. Sa voix est sonore, naturellement expressive, et arbore des moyens flatteurs. À cela s’ajoute la pertinence interprétative d’une vraie personnalité musicale. Tour à tour espiègle, sentimentale, mélancolique, joueuse, rageuse, tragique, elle s’engage à cent pour cent dans chaque vers, chaque mélodie, avec une générosité qui implique la salle. Du coup, le pianiste se « décoince » et ose un jeu plus orchestral. Les mélodies de Chostakovitch bénéficient d’un naturel stupéfiant, de même que celles de Tchaïkovski dans lesquelles on apprécie l’art de nuancer. Quelle force évocatrice dans la Chanson d’une bohémienne, quelle exquise délicatesse dans les mélodies de Rachmaninov ! Pour finir, les deux jeunes femmes chantent le duo Lisa/Pauline de La dame de pique (Пиковая дама) dans un gracieux équilibre.

Nous avons posé quelques questions à Diana Axentii.
Ses études commencèrent par le violon, dans un collège musical moldave. Là, un professeur de chant lui propose de travailler parallèlement sa voix. Rapidement, elle entre au Conservatoire Supérieur de Moldavie, toujours dans les deux disciplines. Rencontre décisive avec Jana Vdovicenco, le maître qui trouverasa voix, l’aidera à découvrir puis à développer ses qualités spécifiques. « Elle est devenue comme une deuxième mère pour moi », confie Diana avec un sourire plein de tendresse. Des années d’apprentissage, elle dit : « Je crois que l’on doit trouver le professeur en qui avoir confiance, et qu’il n’y en a qu’un, mais qu’il faut aussi voir régulièrement d’autres maîtres. J’ai tout de suite eu confiance en Régine Crespin : je ne la connaissais pas, mais j’ai senti qu’elle ne pouvait pas me dire quelque chose pour me faire du mal. En Moldavie, mon professeur, Mme Vdovicenco, n’a pas fait elle-même une grande carrière de chanteuse, mais je savais depuis toujours qu’elle serait capable de révéler ma voix ». Rapidement, elle rencontré le succès dans ses études, avec un prix de violon en 1998, un prix de chant deux ans plus tard, celui du Concours de Romances Nationales dans son pays et un diplôme l’Université des Beaux-arts de Moldavie en 2002. Elle participe aux tournées de l’Opéra National de Moldavie, avant d’entrer au Conservatoire de Lyon où approfondir son art. Puis il y eut le prix spécial du Concours Montserrat Caballé, à Andorre, en 2003. « C’est le plus petit prix, n’est-ce pas ? Mais pour moi, c’est le plus grand, car les membres du jury étaient extrêmement compétents. Il y avait quatre-vingt douze candidats, ils n’en ont gardé que cinq ! Dans ce jury, il y avait Evgueni Nesterenko, une personnalité formidable que j’admire avec respect. Il m’a tout de suite parlé comme s’il me connaissait parfaitement. Mady Mesplé m’a ensuite donné quelques master classes ; je ne la connaissais pas, parce qu’en Moldavie, on parle surtout des chanteurs de Russie et, bien sûr, de la Scala ».

Diana Axentii présentait dernièrement Carmen pour finir son Conservatoire,chantait le Requiem de Verdi au Festival de Música de Coimbra, avec l’Orchestre Philharmonique du Portugal et le Chœur du Teatro São Carlos de Lisbonne, « dans une église superbe ! ». En septembre dernier, elle a emporté le prix George Enescu (le président du jury était Christa Ludwig) et chantait à Villefranche, le 8 novembre, un récital entièrement consacré aux compositeurs moldaves : Koka, Doni, Neaga, Goudin, Sapiro, etc. Elle donna également quelques concerts dans des églises italiennes (à Barletta, Catane, Turin, etc.). On pourra l’entendre en avril dans le rôle du messager de l’Orfeo de Monteverdi à l’Opéra national de Lyon, avant de participer à l’Académie d’Été du Festival d’Aix-en-Provence. Lorsqu’on évoque son aisance dans le difficile exercice du récital, elle répond :

« J’ai un peu chanté les Lieder de Wolf, Brahms, Schubert, Mendelssohn. J’aime beaucoup Mahler. Je chante aussi les mélodies de Duparc, de Debussy et de Guy Sacre, qui est moins connu. Pour les mélodies russes, j’ai travaillé beaucoup sur mes émotions, pour les canaliser et être à mon aise. En chantant, il faut utiliser son corps, mais encore sa psyché. La respiration est importante, mais aussi la présence, l’implication dans le contexte de la mélodie. Ce n’est pas toujours facile de jongler avec tout cela pour livrer le message du poème au public. Je me connais (rires), mais parfois, je me surprends ! Ma sensibilité me joue des tours, il faut que je la dompte. Par exemple : il arrive que des amis me demandent de chanter, et je n’ai pas envie ; je le fais tout de même, et soudain la mélodie m’emporte dans une sorte d’extase. Il faut contrôler cela, bien sûr ». Nous avons eu beaucoup de plaisir à entendre Diana Axentii et à échanger ces quelques mots avec elle, à découvrir une jeune femme concentrée sur son art, enthousiaste autant que lucide, qui volontiers offre sourire et bonne humeur. Sans doute la retrouverons-nous très vite…

BB