Chroniques

par michèle tosi

Chopin par Abdel Rahman El Bacha
avant-dernière étape d’une intégrale

Festival Berlioz / Église, La Côte-Saint-André
- 29 août 2016
Huitième concert d'une intégrale Chopin par Abdel Rahman El Bacha
© carole bella

Tel un rituel attaché à la manifestation, le Festival Berlioz de La Côte-Saint-André programme chaque année une ou plusieurs intégrales : pour l'édition 2016, celle des Trios avec piano de Beethoven (François-Frédéric Guy, Tedi Papavrami et Xavier Phillips) ainsi que toute l'œuvre pour piano de Chopin, sous les doigts d'Abdel Rahman El Bacha (une somme qu'il a gravée chez Forlane en 2001). Cette intégrale se déroule en neuf concerts, invitant chaque jour le public, à 17 heures précises, dans l'Église de La Côte-Saint-André où trône un superbe piano Bechstein choisi par l'interprète. C'est l'ordre chronologique des pièces (qui n'est pas toujours celui du catalogue) que le pianiste a voulu respecter, afin de mieux suivre le fil de la vie de Chopin.

Lors du huitième concert, dont le programme respecte ici scrupuleusement le classement par opus (des numéros 50 à 57), ce sont donc des pages de maturité que l'on entend. La Mazurka op.50 n°3 en témoigne clairement, à travers l'élaboration de la polyphonie et l'envergure formelle que lui donne Chopin. On est d'emblée capté par le jeu sensible et profond du pianiste, attaché aux couleurs de l'harmonie et à la ligne de chant sobrement conduite. D'une admirable fluidité, l'Impromptu Op.51 introduit idéalement la Ballade Op.52 n°4, premier sommet de ce récital. Avec l'économie du geste et sans débordement virtuose, El Bacha privilégie la transparence des textures et la cinétique des thèmes qui nous envoûtent. L'admirable coda n'est qu'énergie pure sous ses doigts prodigieux.

Numérotation oblige, la position de la Polonaise Op.53 dite Héroïque, très (trop) connue, juste après la Ballade et avant le quatrième Scherzo, n'est certes pas idéale, même si, là encore, la fulgurance de l'interprétation et la rigueur observée dans la conduite formelle sont confondantes. Second chef-d'œuvre, le Scherzo Op.54 est l'acmé de cet après-midi en compagnie de Chopin. Libéré de tout cadre formel, le compositeur emprunte la voie narrative, « le récit de la vie d'un héros » souligne André Boucourechliev (inRegards sur Chopin). Le pianiste nous embarque sur ce chemin tourmenté et presque chaotique avant le chant sublime qu'il fait résonner au centre de la pièce, dans un dosage subtil des sonorités et un éclairage qui se modifie à mesure.

Après Nocturnes et Mazurkas toujours (des opus 55 et 56) – Chopin en écrivit tout au long de sa vie – Abdel Rahman El Bacha clôt cette avant-dernière étape de son intégrale par la Berceuse Op.57, un bijou qu'on choisirait certainement d'emmener sur une île déserte, pour y entendre et réentendre l’arabesque éperdue surgie du cœur même de la mélodie et que l'interprète pare d'une lumière douce et transfiguratrice !

MT