Chroniques

par laurent bergnach

Charles Kœchlin | Le livre de la jungle
Marie-Nicole Lemieux, Nikolaï Schukoff, Denis Sedov

Fabien Gabel dirige l’Orchestre national de France
Orients / Maison de Radio France, Paris
- 17 novembre 2006
le compositeur et théoricien français Charles Kœchlin
© roger viollet

Alors que la musique de Debussy immortalise la mer, celle de Poulenc la campagne, c’est la jungle, avec son univers riche de couleurs et de sons, propice à la rêverie et à la méditation, qui accompagna Charles Kœchlin tout au long de sa vie (1867-1950). Dès son plus jeune âge, le compositeur se passionne pour l’œuvre de Kipling. Son livre le plus célèbre l’escorte d’une période créatrice à une autre : si le concert de ce soir respecte l’ordre décidé au moment de la création du cycle (en 1932, par l’Orchestre Symphonique de Paris sous la direction de Roger Désormières), il n’est qu’à considérer la chronologie de l’écriture pour s’en convaincre.

Les Trois Poèmes Op.18 (composées en 1899-1901, orchestrées quelque temps plus tard) servent de transition entre l’époque des œuvres vocales et celle des symphonies. Le climat y est symboliste et fin de siècle, d’où la tendresse veloutée proposée par le mezzo Marie-Nicole Lemieux sur Berceuse phoque, au risque de manquer d’ampleur. Chanson de nuit dans la jungle décrit l’heure de la chasse que le timbre de la basse Denis Sedov rend idéalement inquiétant. Enfin, sur Chant de Kala Nag, avec un aigu musclé et beaucoup de nuances, le ténor Nikolaï Schukoff entreprend l’hymne à la liberté de l’éléphant qui brise ses chaînes pour retrouver ses frères. Le Chœur de Radio France, préparé par Michel Tranchant, contribue largement au succès de ces pièces.

Avec sa demi-heure et ses quatre scènes, La course du printemps Op.95 (1911-1927) est proche du poème symphonique. L’œuvre représente le terme du cycle, puisque Mowgli, s’éveillant à sa propre nature, se lance dans une course étourdissante pour se libérer de ses pulsions, avant de rejoindre ses congénères. Outre des attaques précises, c’est avec beaucoup d’allant et de sensualité que l’Orchestre national de France rend compte de cette frénésie. La méditation de Purun Bhagat Op.159 (1936) illustre le retrait dans un ermitage du premier ministre d’un maharajah. Avec une maîtrise qui devrait lui assurer un bel avenir, Fabien Gabel – récompensé à Londres en 2004 (Concours Donatella Flick) – conduit ce crescendo qui traduit à la fois l’ascension vers les sommets de l’Himalaya et l’élévation spirituelle du sage.

Âgé d’une trentaine d’années, l’assistant de Kurt Masur brille également dans la monodie hiératique de La loi de la jungle Op.175 (1934), laquelle marquerait peu les esprits si elle n’avait vocation d’ouverture, mais surtout dans Les Bandar-log Op.176 (1939-1940). Ici, succédant à une introduction tout en lenteur, et avant le retour au calme, l’équilibre des pupitres ne laisse rien échapper des ricanements, bondissements et autres bougonnements du peuple simiesque, rebut de la forêt. Ce soir, le public n’a pas regretté son étape du week-end Orients.

LB