Chroniques

par bertrand bolognesi

Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan
Beethoven | Chorfantasie Op.80 – Symphonie en ré mineur Op.125 n°9

Ricarda Merbeth, Daniela Sindram, Robert Dean Smith, Günther Groissböck
Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 17 juin 2015
fort belle conclusion du cycle Beethoven de Philippe Jordan à l'Opéra Bastille
© johannes ifkovits

En conclusion du cycle Beethoven entamé dès l’automne dernier, Philippe Jordan a choisi la Neuvième, bien sûr, mais en l’introduisant par la passionnante Chorfantasie Op.80 (pour piano, sextuor vocal, chœur et orchestre) qui, une quinzaine d’années après sa conception, servira de modèle au final chanté de ladite symphonie. Dans une sonorité relativement timorée, Jean-Yves Thibaudet articule l’introduction pianistique, favorisant la clarté de l’énoncé. Puis viennent ces grands « coups de gueule » chers au compositeur, tension de l’humeur que le soliste contraste entre un sourcil rageur et des perlés très délicats, quasiment cristallins. Les cordes graves font une entrée discrètement sertie, bientôt rejointes par un solo flûtistique gentiment jubilatoire. Avec les bois le chef cultive un climat d’Heuriger fort savoureux, souligné par le basson et la clarinette, en sus des hautbois débonnaires. La tendreté joyeuse du violon et du violoncelle leur succède, affirmant la bonne forme de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Le tutti qui s’ensuit demeure assez léger, invitant le retour du piano, cette fois comme inventeur de relief. Sainement tonique mais point trop acérée, la lecture extrêmement concentrée de Jordan favorise un équilibre classique sur l’élan romantique. Au sextuor vocal, tenu par des membres du Chœur de l’Opéra, répond un tutti choral vaillant. Voilà qui promet pour la seconde partie du programme !

Tout en soignant la couleur, avec ce voile subtil de vieux taffetas des cordes qui fait sa spécificité de son (maintes fois saluée dans ses Strauss), Philippe Jordan engage l’Allegro ma non troppo de la Symphonie en ré mineur Op.125 n°9 dans une approche nettement engagée et beaucoup plus incisive. La ciselure s’effectue dans une ardeur heureuse, y compris dans les indescriptibles faux-surplaces magnétiques qui font en partie la signature de Beethoven. Après un Molto vivace inventif qui ne se décoiffe cependant pas, l’Adagio cantabile gagne en fluidité et en lyrisme, dans un bonheur certain. L’art du détail fait la joie de cette approche, ainsi que l’enthousiasme positif du geste général. Le dernier mouvement est amorcé dans une ténuité questionneuse que vient contrarier l’indéfinissable brume du thème des contrebasses. Soudain, Günther Groissböck – « O Freunde… ». Fermeté, richesse du coloris, grand souffle, souplesse de l’inflexion, passionnante présence au texte : quel impact ! Le quatuor vocal se révèle d’un format généreux, au service d’une interprétation somptueusement nuancée, avec l’opulence sur tout le registre de Ricarda Merbeth, la suavité de Daniela Sindram, mezzo-soprano tout récemment saluée en Comtesse Geschwitz de Lulu [lire notre chronique du 6 juin 2015], enfin l’imparable précision d’aigu de Robert Dean Smith. De fait, le ténor livre un « Froh, wie seine Sonnen fliegen.. » d’une ligne exquise qui ne force rien.

Robustes, les voix du Chœur « maison », préparées par José Luis Basso, avancent encore un fin travail de dynamique. Philippe Jordan brûle d’un tempo électrique les ultimes moments de l’exécution, jouant sur les timbres jusqu’à l’illusion rythmique oscillatoire, puis il fonce littéralement dans la fugue chorale, fulgurante. Après l’accelerando infernal, parfaitement maîtrisé, le public, jusqu’alors gardien jaloux d’une formidable qualité d’écoute, se lève en un cri. Voilà qui en dit plus long qu’on en saurait écrire.

BB