Chroniques

par françois-xavier ajavon

Chœur de Radio France, Stephen Betteridge
œuvres de Bax, Bridge, Britten, Maconchy et Vaughan Williams

Maison de la Radio, Paris
- 26 novembre 2005
Ralph Vaughan Williams, compositeur à chats, par le Chœur de Radio France
© dr

Malgré la discrète démission de Jacques Taddei du poste de Directeur de la musique de Radio France (cf. Le Monde, 24 novembre 2005) moins d'un an après son arrivée controversée à la tête des formations musicales de la Maison ronde, la salle Olivier Messiaen résonne ce week-end des ondes positives de deux concerts stimulants, consacrés à la musique chorale britannique (samedi) et américaine (dimanche). Le Chœur de Radio France, accompagné au piano sur certaines œuvres, donne une image suggestive de la production chorale anglo-saxonne du XXe siècle.

La Grande-Bretagne se dota dès le XVIIIe siècle d'un grand nombre de sociétés chorales fondées par la bourgeoisie provinciale. L'un des effets de ce véritable sport national, pratiqué aussi dans les collèges, fut le développement d'un répertoire conséquent pour chœur d'hommes, chœur mixte et chœur accompagné d’un piano. La soirée de samedi, placée sous la direction du Britannique Stephen Betteridge – on le connaît pour ses créations d'œuvres de Michael Nyman et Colin Matthews, mais aussi pour sa participation à des enregistrements auprès de Richard Hickox et de Rostropovitch –, tourne autour de l'œuvre de Benjamin Britten. Du grand manitou d'Aldeburgh sont retenus trois opus.

Extraites du seul opéra de circonstance du compositeur (Gloriana, 1953), les Choral Dances from Gloriana ne sont pas la quintessence de son œuvre. D'une allure ludique et traditionnelle un peu forcée, ces Dances ne rendent pas justice à la subtilité de sa facture. Le Chœur manque d'inspiration sur cette pièce dont le titre d'ouverture, le purcellien Time, génère un sentiment de désordre, plus confus que gai. Mais les chanteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes dans le chef d'œuvre qu'est l'Hymn to St Cecilia Op.27 que Britten écrivit sur le bateau le ramenant des États-Unis en Angleterre, au terme d'un exil désagréable. Dans ce chœur à cinq voix, il s'amuse à introduire des effets d'imitations instrumentaux et exige des interprètes une grande clarté. Les textes de Wystan Hugh Auden – une célébration de la Sainte Patronne des musiciens – trouvent un corps choral éblouissant qui fait de cette œuvre l'une des plus belles de l'auteur. Le court diptyque Two-Part Songs clôt cette période brittenienne, permettant au Chœur de faire la brillante démonstration de la subtilité de l'alternance traditionnelle entre le groupe choral tout entier et les voix solistes.

Autour de Britten, le programme recèle le méconnu Music, when soft voices die de Frank Bridge, professeur de l'auteur de Peter Grimes. Cette page « classique », inspirée par Brahms et Wagner, est emprunte d'un lyrisme mélancolique. Contemporaine de Britten, Elizabeth Maconchy est originaire d'Irlande. Elle fut une figure importante de la musique et des institutions musicales britanniques des dernières décennies. De son œuvre mal connue en France, Betteridge a eu la bonne idée de mettre en avant l’émouvant Nocturnal en trois parties, sur des poèmes de Barnes, Edward Thomas et Percy Shelley.

Point fort du programme, le Chœur donne après l'entracte le meilleur de lui-même dans les très lyriques Three Shakespeare Songs de Ralph Vaughan Williams [photo]. Œuvre de commande de 1951, ce long triptyque permet à son auteur de déployer des univers tour à tour irréels (dans la première chanson, le « ding-dong » des cloches figuré par le chœur et l'ambiance pastorale ne sont pas sans évoquer un Mahler joué dans le lointain), solennels et folkloriques. Le concert se termine par la belle Mater Ora Filium d'Arnold Bax, le plus romantique des compositeurs ici joués. Conçue en 1921 pour double chœur a capella, cette pièce est à la fois dense, riche, intense et d'une flamboyance qui ne la détache jamais de l'exultation mystique. Avec elle, Bax développe un langage d'une grande complexité qui déploie progressivement chromatismes et dissonances dans des contours classiques. Le double chœur est le moyen de jouer d’échos et de résonances. Le Chœur de Radio France fait preuve de sa maîtrise dans cet opus « atrocement » technique. En bis est donnée une brève folksong de Britten, Oliver Cromwell, extraite du premier volume, British Isles, dans une version pour chœur et piano pleine d'énergie et d'espièglerie.

FXA