Recherche
Chroniques
Carolyn Carlson sous la Coupole
installation de la chorégraphe et danseuse à l’Académie des beaux-arts
Grand beau temps bleu, cet après-midi, dessus le pont des Arts qui nous mène à l’Institut de France pour une séance d’installation toute particulière. Il y a quatre ans, l’Académie des beaux-arts créait sa nouvelle section, la neuvième, pourvue de quatre fauteuils. Quelle discipline s’en trouvait-elle honorée ? Si Maurice Béjart, élu en 1994, avait intégré la section Membre libres, les chorégraphes ont désormais une tribune dédiée, inaugurée par Bianca Li, Angelin Preljocaj et Thierry Malandain – au printemps 2019, Jiří Kylián succédait au peintre Leonardo Cremonini au fauteuil XII, en tant que membre associé étranger.
Née dans la baie de San Francisco en 1943, dans une famille d’origine finlandaise, et citoyenne française depuis 2019, Carolyn Carlson a, depuis son arrivée il y a près d’un demi-siècle, significativement investi notre paysage de la danse. Quittant New York et son maître Alwin Nikolais, elle fait vite parler d’elle avec Rituel pour un rêve mort qu’elle présente au Festival d’Avignon en 1972, avec la compagnie Anne Béranger. Si s’en tenir à la partie française d’un parcours que l’artiste définit elle-même nomade peut sembler aberration, pareille organisation du propos permet de mieux rendre compte de la forte influence de son travail ici. En 1973, le Palais Garnier affiche Density 21,5 (solo imaginé sur la fameuse pièce flûtistique de Varèse) qui marque durablement son temps. L’année suivante, Rolf Liebermann crée spécialement pour elle le statut d’Étoile-Chorégraphe, à l’Opéra national de Paris qu’il dirigera durant une foisonnante décennie. Dans la foulée, Carolyn Carlson invente le Groupe de recherche théâtrale de l’Opéra de Paris avec lequel mener une recherche expérimentale qui révolutionne la maison.
Après plusieurs spectacles dans ce giron, on la retrouve à la Salle Favart, aux Bouffes du Nord, au Théâtre de la Ville, au Musée Guimet, à travers de nombreuses créations qui l’amènent à fonder son propre Atelier, en 1999, à la Cartoucherie. Elle devient directrice du Centre chorégraphique national de Roubaix, en 2005. À peine née, la Carolyn Carlson Company connaît une résidence de deux ans à Chaillot (Théâtre national de la danse, 2014-2016), ce qui n’empêche pas la chorégraphe de s’exprimer avec le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux. Voilà pour le parcours français, salué en 2000 lorsqu’elle est élevée au rang de chevalier des Arts et des Lettres, puis à l’automne 2002 par la médaille de la Ville de Paris, deux fois en 2013 où elle devient tour à tour officier de la Légion d’honneur et commandeure des Arts et des Lettres, enfin l’an dernier qui la voit promue commandeure de la Légion d’honneur.
Il est 15h30 précises lorsque les académiciens pénètrent sous la Coupole. Parmi eux, la petite nouvelle, dans un fort bel habit de coupe anguleuse, conçu par agnès b. Sur ce ton qui n’est qu’à lui, Laurent Petitgirard, Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, l’accueille par un discours à la fois doctement renseigné et plein d’humour. S’y trouvent évoqués les contes de la grand-mère finlandaise, les premiers pas durant l’enfance avec un père vétérinaire trop tôt disparu, un climat familial stimulant où la musique est omniprésente – sa maman chante et joue du piano, tandis que clarinette, guitare, saxophone et violon sonnent entre les mains de ses deux frères –, ainsi que la fascination pour la mer. Le chemin artistique parcouru depuis les premiers concours de danse, les cours à l’université, puis New York, Paris, Avignon, Londres, Hambourg, Venise ou encore Stockholm, jusqu’à ce jour de fête solennelle, se balise en titre de spectacles, innombrables, mais encore en œuvres graphiques – puisque Carolyn Carlson n’est pas que danseuse et chorégraphe, si l’on ose dire –, récemment exposée à La Piscine (Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix), à la Chapelle du Méjan (Arles), au Musée Toulouse Lautrec (Albi) ainsi que dans plusieurs galeries parisiennes, et en plusieurs recueils poétiques (Le Soi et le Rien, Solo, Inanna, Brins d’herbe, Dialogue avec Rothko, etc.). « Bienvenue, chère Carolyn, votre aide nous sera précieuse pour stimuler et aider la création de tous ces jeunes artistes qu’il est de notre mission de soutenir », conclut-il.
Après quelques remerciements d’usage, la nouvelle académicienne ouvre son discours par un poème. Entre le récit passionné de toute une vie, lui aussi jalonné de poèmes et de plusieurs extraits filmés de ses spectacles, elle dresse le portrait théorique et parfois même technique de son travail, convoquant iciaussi bien les phares de la culture new-yorkaise des années soixante que l’immense séquoia trois fois millénaire de la montagne de Yosemite, le Grand Canyon, sa découverte du bouddhisme zen, quelques figures tutélaires – Bachelard, Jung, Nietzsche, entre autres – et de nombreux compositeurs, parmi lesquels Kaija Saariaho (élue membre associé étranger de cette académie, le mois dernier). Mais parle-t-on encore avec quelque pertinence de discours quand de tout le corps Carolyn Carlson accompagne son dire et qu’elle invite sous la Coupole deux danseuses et un danseur pour avec elle y mieux mettre le feu ? Pour cette personnalité inclassable au tempérament indomptable, impossible de ne pas découdre les pourpoints, on s’en doutait. « Depuis le début, ma quête a été de chercher l’essence spirituelle en l’homme, d’offrir les clés cachées de l’illumination, lumière dans l’élan qui porte une âme à la hauteur de sa propre perception de ce qui éclaire. » : ainsi s’achève la cérémonie, ô combien émouvante et joyeuse, tandis que Françoise Nyssen remet à l’artiste l’épée d’académicienne réalisée par Gilles Nicolas – lame et poignée de bambou, pommeau d’aventurine et majestueux coquillage en guise de garde.
BB